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ABP - Agence Burundaise de Presse

Grenier de l'information au Burundi

Aperçu sur la situation de l’hémophilie au Burundi

ByAdministrateur

Fév 16, 2024

BUJUMBURA, 12 février (ABP) – Au Burundi, l’hémophilie est une maladie rare largement ignorée et sous-diagnostiquée. Les patients souffrent souvent de complications graves, telles que des saignements internes et des déformations des articulations, en raison de l’absence de traitements adéquats et de soins appropriés. En ce moment, il n’existe pas de programme de traitement national pour l’hémophilie au Burundi. Les patients et leurs familles doivent généralement se tourner vers des associations locales pour obtenir de l’aide et des informations sur la maladie. L’ONG travaillant dans le domaine de l’hémophilie au Burundi, à savoir la solidarité burundaise des personnes atteintes d’hémophilie (SOBUH), tente de fournir des traitements aux patients, mais ses ressources sont limitées.

Pr Claudette Ndayikunda, Médecin Biologiste, Directrice du Centre de recherche de virologie et de diagnostique biologique (CRDBi), fait savoir que l’hémophilie est une maladie rare, héréditaire et récessive qui est liée au chromosome X caractérisé par un déficit qualitatif ou quantitatif d’un facteur de coagulation. Selon Pr Ndayikunda qui s’exprimait mercredi 31 janvier 2024 au cours d’une interview qu’elle a accordée à l’ABP, si c’est le facteur VIII qui est absent ou déficient on parle d’hémophilie A. Mais si c’est le facteur IX qui est absent ou déficient, on parle d’hémophilie B. Elle indique, en outre, que  l’hémophilie A touche environ un homme sur 6000, tandis que l’hémophilie B, plus rare, affecte un homme sur 30 000. Les gènes du facteur VIII et IX sont situés sur le chromosome X, d’où la maladie est transmise selon le mode récessif lié au sexe. Les porteurs de sexe masculin seront tous malades alors que les femmes porteuses sont dites conductrices. Chez certains patients, on ne retrouve pas d’antécédents familiaux d’hémophilie, mentionne Pr Ndayikunda signalant que dans ce cas on suspecte une hémophilie de nouveau correspondant à l’apparition de mutation d’hémophilie (qui survient dans 20% des cas; ceci est différent des hémophilies acquises). Selon toujours elle, le taux de facteur VIII ou IX qui détermine les degrés de gravité de l’hémophilie dans le sang peut être très diminué, modérément diminué ou peu diminué. L’hémophilie est sévère si ce taux est inférieur à 1 % (35 % des cas), modérée s’il se trouve entre 1 et 5 % (15 % des cas), mineure entre 6 et 30 % (50 % des cas). Concernant le mode de transmission, Pr Ndayikunda précise que  l’hémophilie se transmet dans son type et dans sa gravité. Par rapport à sa cause, elle indique que l’hémophilie est causée par des mutations (changements anormaux) dans le gène qui permet de produire les facteurs de coagulation VIII ou IX. Ces gènes sont situés sur les chromosomes X (chromosomes sexuels). Les chromosomes sont regroupés en paires d’après Pr Ndayikunda, expliquant que  les femmes ont deux chromosomes X et les hommes un chromosome X et un chromosome Y. Le chromosome X est le seul qui contient les gènes permettant de produire les facteurs de coagulations VIII et IX. Selon toujours Pr Ndayikunda, il existe 2 types principaux d’hémophilie, en l’occurrence l’hémophilie A, également appelée  hémophilie classique parce qu’elle est la plus fréquente. Dans cette maladie, le facteur de coagulation VIII (huit) est absent ou diminué en quantité, précise-t-elle.  Il y a, aussi, l’hémophilie B, aussi  dite  maladie de Christmas, dans laquelle le facteur de coagulation IX (neuf) est absent ou diminué en quantité.

                                                                                               Pr. Claudette Ndayikunda

Par rapport aux symptômes les plus courants de l’hémophilie, Pr Ndayikunda parle des hémorragies. Elle  fait remarquer que ces dernières commencent avec l’apprentissage de la marche et que la sévérité des manifestations cliniques dépend de la sévérité du déficit en facteurs VIII ou IX. Si l’activité biologique du facteur de coagulation est inférieure à 1 %, l’hémophilie est sévère et se manifeste par des hémorragies spontanées fréquentes et des saignements anormaux à la suite de blessures mineures, d’une chirurgie ou d’une extraction dentaire. Et  si cette activité est comprise entre 1 et 5 %, l’hémophilie est modérée avec des saignements anormaux à la suite de blessures mineures, d’une chirurgie ou d’une extraction dentaire, mais les hémorragies spontanées sont rares, a-t-elle expliqué. Cette spécialiste fait en outre remarquer que si cette activité biologique est comprise entre 5 et 40 %, l’hémophilie est mineure, avec des saignements anormaux à la suite de blessures mineures, d’une chirurgie ou d’une extraction dentaire, mais pas d’hémorragies spontanées. En cas d’hémophilie sévère, a-t-elle poursuivi, les saignements articulaires, ou hémarthroses, qui surviennent principalement au niveau des articulations porteuses (genoux, chevilles et hanches), sont responsables de douleurs et peuvent aboutir à une destruction de l’articulation et, par conséquent, à un handicap sévère. L’évolution de l’hémophilie sévère non traitée est mortelle dans l’enfance ou l’adolescence.  Peu ou insuffisamment traitée, la répétition des hémarthroses et des hématomes aboutit à un handicap moteur très invalidant, associant raideurs, déformations articulaires et paralysies, ajoute Pr Ndayikunda. Elle souligne, par ailleurs, qu’au Burundi, le diagnostic de l’hémophilie est réalisé par la mise en évidence d’allongement du Temps Céphalique Activé (TCA), suivi d’un test de correction analysé à l’aide du don des facteurs VIII et IX reçu de World Federation of hemophilia (WFH) du Canada.

Les complications associées à l’hémophilie peuvent être traitées ou prévenues

D’après Pr Claudette Ndayikunda les saignements dans le cerveau représentent une complication grave de l’hémophilie. Ils peuvent se produire après un léger coup sur la tête ou un traumatisme crânien plus important, selon le degré de gravité de l’hémophilie.  Elle fait savoir  que les signes et les symptômes d’un saignement intracérébral sont entre autres les changements de comportement, les changements de vision et les convulsions. Il y a également une faiblesse soudaine dans un bras ou une jambe, les maux de tête violents, la douleur ou raideur au cou de longue durée, la somnolence et les vomissements répétés.  Elle mentionne, cependant, qu’il est aujourd’hui possible d’éviter ces complications, d’autant que l’évolution est d’autant plus favorable que le patient reçoit une thérapie substitutive précoce et bien adaptée à sa situation clinique.

Par rapport aux traitements disponibles pour les personnes atteintes d’hémophilie et les médicaments les plus couramment utilisés, elle indique que le type de traitement varie selon le type d’hémophilie, le degré de sévérité de la maladie et les activités quotidiennes. Il variera également si le patient subit des interventions dentaires ou médicales. Diverses options thérapeutiques contenant les facteurs VIII et IX sont, aussi, disponibles, explique-t-elle. A cet effet, Pr Ndayikunda évoque le plasma congelé contenant 0,7-1 UI des facteurs VIII ou IX/ml de plasma qu’on peut prescrire aux patients ou  faire des cryoprécipités à 25-40 UI des mêmes facteurs. Les hémophiles peuvent, tout autant, recevoir des concentrés des facteurs VIII ou IX pouvant contenir 50-1000UI de facteurs/ml ou des PPSB qui sont des facteurs vit K dépendant. Parmi les médicaments les plus couramment utilisés, Pr Ndayikunda parle d’Afstyla 500, Kovaltry 500, HemophilnM 500 pour le traitement de l’Hémophilie A et AlphaNine SD 500 , Octanine 500 pour le traitement de l’Hémophilie B. « Je précise que ces médicaments sont disponibles au Burundi et constituent un don de World Federation of Hemophilia du Canada », précise-t-elle.

Elle reconnait qu’il existe des avancées récentes dans le domaine de la recherche sur l’hémophilie et qu’il y a de  nouveaux traitements ou des perspectives d’amélioration de la qualité de vie des patients : « La thérapie génique, attendue par tous depuis des décennies, devient une réalité et sera accessible très prochainement. Deux molécules sont accessibles en France depuis 2023, le Roctavian (valoctocogene roxaparvovec) du laboratoire BIOMARIN pour le traitement de l’hémophilie A, et l’EtranaDez (etranacogene dezaparvovec) du laboratoire CSL Behring pour le traitement de l’hémophilie B. Émicizumab : l’émicizumab est un médicament servant au traitement de l’hémophilie A. Il permet au sang de coaguler en l’absence du facteur VIII en se fixant aux facteurs IX et X. », déclare-t-elle.

Au Burundi les personnes atteintes de l’hémophilie et leurs familles vivent le calvaire au quotidien

Samy Asaël  Muhezagiro, tout comme d’autres, est le reflet du calvaire vécu au quotidien par les personnes atteintes de l’hémophilie et leurs familles. En 2016, à la naissance de l’enfant, la famille vivait à Muyinga, à 200 km de Bujumbura, la capitale économique. Gilbert Niyonkuru, le père de Muhezagiro qui s’est entretenu  avec l’ABP  mardi le 23 janvier 2024,  a indiqué qu’à sa naissance, son fils ne présentait aucun problème sanitaire. Il indique qu’à l’âge de 7 mois, la situation a changé son cour normal : « C’est à l’âge  de 7 à 8 mois que mon fils a commencé à développer des hématomes au niveau de la pomme de la main, des chevilles, des genoux,  du tibia) et surtout au niveau des fesses. Ces hématomes ont  commencé à apparaitre dès que l’enfant  a appris à monter sur les objets, marcher à quatre pattes et à se lever. Chaque fois qu’il se cognait contre le sol, les hématomes plus volumineux apparaissaient sur les fesses », raconte-t-il. Il indique, en outre, qu’il faisait  soigner l’enfant à l’hôpital de Muyinga (public). Les médecins lui  prescrivaient, des fois, des pommades et des antalgiques  pour essayer de réduire les douleurs occasionnées par ces hématomes. Selon Niyonkuru, tout le monde se demandait pourquoi après deux ou trois semaines, ces hématomes disparaissaient  avant même que l’enfant ne termine les médicaments et que d’autres apparaissent. Autant que l’enfant multipliait ses mouvements (ramper, se lever et marcher), les hématomes se multipliaient. Il constatait, cependant, que les hématomes apparaissaient à chaque fois qu’il se cognait contre un objet ou contre le sol.

Après avoir réalisé  qu’ils sont dans l’incapacité de pouvoir détecter la maladie dont souffrait l’enfant, les médecins de l’hôpital de Muyinga lui ont recommandé d’aller faire soigner son enfant  à Bujumbura. Arrivé là, il est passé d’un pédiatre à l’autre, d’un hôpital à l’autre mais sans succès : « En tout cas, j’ai fait le tour des pédiatres de Bujumbura. Ils ont prescrit des médicaments, ils ont fait faire des examens médicaux. En faisant de l’énumération de la formule sanguine (NFS) et d’autres examens, tous les médecins constataient un certain désordre dans le sang de l’enfant », relate-t-il.

D’après toujours le père de l’enfant, au moindre mouvement (Marcher à 4 pattes, se lever et les tentatives de marcher), les hématomes se multipliaient à certains endroits du corps surtout au niveau des fesses, des genoux, de l’avant-bras etc. Des fois, les hématomes gonflaient jusqu’à atteindre la taille d’un œuf, ce qui lui faisait peur et réfléchir profondément sur le mal qui guette son fils. Soucieux de l’état de santé de son fils, il s’est résolu à parcourir presque tous les hôpitaux de la ville de Bujumbura, de spécialistes en spécialistes mais personne n’a pu détecter la maladie qui rongeait son fils. Il s’est décidé par après d’emmener son fils à l’hôpital de référence du pays à cette époque : « Je faisais soigner mon fils sans succès.  J’ai fait le tour de tous les hôpitaux, j’ai fréquenté plusieurs médecins. Par après, je suis allé  le faire soigner à Kira hospital, l’hôpital le plus spécialisé au pays à l’époque », a-t-il confié

A Kira hospital, précise-t-il, les médecins ont usé de tout leur savoir pour chercher à détecter de quoi l’enfant souffrait. Tout au début de l’année 2018, les médecins ont constaté que tous les médicaments qu’on prescrivait à l’enfant ne pouvaient pas arrêter les hématomes.  C’est ainsi que ces derniers  lui proposent de faire un prélèvement d’un hématome. « A cette époque, les médecins ne croyaient pas à un hématome mais plutôt à  une nodule d’un cancer. Ils m’ont proposé de prélever une partie d’un hématome pour l’envoyer à l’étranger afin d’en faire une biopsie », explique-t-il. Pour que  ce prélèvement soit envoyé  à l’étranger, Niyonkuru devait  payer un montant de 200$, mais il n’était pas à mesure de trouver cet argent. Il a ainsi décidé d’aller ailleurs et s’est  confié à un autre médecin : « Ne pouvant pas disponibiliser les 200$ à cause d’énormes dépenses qui pesaient sur moi, mais aussi de la  pénurie des devises à laquelle le pays faisait face,  j’ai eu peur de retourner à Kira hospital et je me suis confié à un autre pédiatre. Ce dernier m’a dit que la biopsie n’est pas nécessaire, d’autant plus que ces hématomes finissent par disparaitre d’eux-mêmes. Ils auraient pensé à un cancer, mais ce n’est pas le cas », détaille-t-il. Le père de l’enfant précise, également,  que ce médecin à qui il s’est confié lui a proposé de recourir au complément nutritionnel, mais là aussi, les efforts n’aboutissaient à rien.

A l’âge d’une année et demie, Muhezagiro est tombé par terre et a eu un choc avec égratignure sur la tête, près du visage, raconte son père. Le choc a occasionné des complications inattendues ; l’enfant avait développé des signes d’un traumatisme crânien : « L’enfant était très agité à tel point qu’il était difficile de le garder dans les bras. Pendant la nuit, il ne pouvait pas dormir, il faisait des sursauts tout le temps », a-t-il confié. Le médecin auquel Niyonkuru s’est confié lui a conseillé de descendre, sans tarder, à Bujumbura pour faire le scanner à l’enfant. Le médecin croyait que l’enfant aurait fait une chute grave et que la bonne aurait caché la vérité, de peur d’être virée, a-t-il dit. Il s’est présenté à Kira hospital où l’examen par scanner qu’on a fait à l’enfant a révélé que ce dernier présentait un trouble crânien causé par des saignements internes. Une opération a été programmée d’urgence pour que le sang qui se trouvait dans le crâne soit évacué.

L’opération a réussi, mais Niyonkuru le père de Muhezagiro regrette une chose : « Si les médecins savaient que mon fils souffrait de l’hémophilie, l’opération devrait être précédée par l’injection des facteurs de coagulation (Facteurs VIII) ». Peu après l’opération, il indique qu’il a demandé aux médecins de quoi souffrait son fils.  Ces derniers lui ont répondu que l’imagerie médicale révèle que ça pourrait être une neurofibromatose et que l’enfant doit vivre avec toute sa vie. Il précise, par ailleurs, qu’après l’opération, les hématomes continuaient à se révéler à certains endroits du corps de l’enfant.

Le père de l’enfant décide d’aller tenter ailleurs

Niyonkuru restait toujours sur sa soif de savoir ce mal invisible qui ronge son fils, à tel point qu’il n’a pas été convaincu par les réponses données par les médecins locaux. Il a décidé de se rendre au Rwanda : « Restant avec la soif de savoir ce mal invisible qui hante mon fils et n’étant pas satisfait des réponses données par les pédiatres locaux, je me suis décidé à aller au Rwanda. J’ai commencé par King Faisal Hospital (KFHR) », raconte-t-il.  Niyonkuru fait savoir qu’en consultant l’enfant, les médecins découvrent qu’il présentait un grand hématome au niveau du dos qui a été occasionné par une ponction lombaire faite avant l’opération crânienne. C’est ainsi qu’ils posent une hypothèse que l’enfant ferait face à une hémophilie, a-t-il signifié. « Les médecins de KFHR m’ont envoyé au Centre hospitalo-universitaire de Kigali (CHK) pour confirmer ou infirmer l’hypothèse de l’hémophilie. Le diagnostic a révélé que l’enfant souffre de l’hémophilie de la catégorie A », a-t-il témoigné.

Après la découverte de la maladie qui le menaçait, Munezero commence à bénéficier des facteurs de coagulation de la part de l’Association rwandaise des hémophiles et du CHK.  Pourtant son père souligne que les choses n’ont pas été faciles. « Je devais transporter mon fils à Kigali pour recevoir ces facteurs de coagulation à chaque fois qu’il enregistrait un choc. Qu’il soit matin ou soir, qu’il pleut ou qu’il neige, je devais traverser les frontières », détaille-t-il. Niyonkuru affirme qu’après de longues négociations, l’Association rwandaise des hémophiles et le CHK ont accepté de lui donner quelques flacons de facteurs de coagulation : « Après de longues négociations, ils ont accepté de m’alléger les souffrances et consenti à m’offrir, chaque fois que de besoin, quelques flacons de facteurs VIII) que j’ai fait faire conserver à l’hôpital de Muyinga et mon fils les bénéficiait à partir de là », a-t-il renchérie.

En dépit des souffrances des parents et de l’enfant lui-même et malgré les dépenses énormes et la découverte de cette maladie, Samy Asaël Muhezagiro n’a pas pu survivre : « Malgré mes peines, mes dépenses énormes, mon fils n’a pas pu survivre ; Né le 22-12-2016, il rendit son âme en 2021 après un court moment de vertiges et vomissements », regrette le père. C’est ainsi qu’il décide de poursuivre une bataille acharnée contre l’hémophilie.

 

Naissance d’une organisation dans un contexte particulier

« Après les souffrances vécues par moi-même et mon fils, je ne pouvais pas rester les bras croisés devant cette maladie qualifiée de malédiction. J’ai pensé qu’il y a d’autres personnes et d’autres familles qui sont en train de vivre les mêmes peines que moi. Je me suis ainsi décidé de fonder la Solidarité burundaise contre l’hémophilie (SOBUH) », témoigne Niyonkuru précisant que la devise de ce dernier est : « Tout hémophile compte ». Avant la mort de son fils, il était déjà en contact avec la Fédération mondiale de l’hémophile (FMH) qui avait commencé à lui envoyer des facteurs de coagulation.

Selon Niyonkuru, la SOBUH compte actuellement 23 membres, dont onze hémophiles de sexe masculin qui habitent au Burundi. Deux autres patients majeurs ont dû migrer à l’étranger à la recherche des soins répondant à leurs conditions sanitaire et physique. Dix sur les onze patients sont des enfants de moins de 18 ans, et huit sur onze sont d’une même famille élargie, explique-t-il. Il indique également que parmi ces hémophiles figurent deux femmes qui ont des troubles divers de coagulation.

Selon toujours lui, le rôle primordial de la SOBUH consiste à soutenir les hémophiles pour qu’ils aient accès à une prise en charge adéquate en maintenant un haut niveau de plaidoyer pour recevoir au Burundi les rares et uniques médicaments ainsi que les facteurs de coagulation que les patients reçoivent actuellement en donation par la Fédération mondiale de l’hémophile (FMH). Cette organisation combat, aussi, pour qu’il y ait, un centre spécial de prise en charge au Burundi.

En matière de soutien aux personnes atteintes d’hémophilie et leurs familles, Niyonkuru dit que la SOBUH fait un plaidoyer régulièrement et obtient, au profit des patients, des dons de facteurs de coagulation auprès de la Fédération Mondiale de l’Hémophilie sise au Canada. Par des accords formels ou informels, elle est en relation avec les services du ministère de la Santé publique qui facilite l’importation de ces produits, leur conservation et leurs injections aux patients au Centre Hospitalo-universitaire de Kamenge à Bujumbura (CHUK).

Le manque d’accès aux soins pour les patients hémophiles burundais : une préoccupation majeure

En termes d’accès aux soins médicaux pour les personnes atteintes d’hémophilie au Burundi, le président de la SOBUH fait remarquer que le niveau est limité : « Le niveau d’accès aux soins médicaux est limité. Nos patients dépendent des dons de facteurs de coagulation que la SOBUH demande uniquement à la FMH Canada. Ces dons sont insuffisants en raison de certaines formalités procédurales internes qui bloquent la rapidité dans l’importation de ces dons de facteurs et la multiplication des donateurs.  Cela a un impact négatif sur la prise en charge, surtout que nous n’avons pas d’autres alternatives à ces produits. De même, les quantités reçues ne sont pas suffisantes pour organiser une prévention périodique requise et un traitement adéquat », déplore-t-il.  En plus, a-t-il poursuivi, tous les patients du pays doivent se faire consulter et se faire injecter les facteurs de coagulation au Centre hospitalo-universitaire de Kamenge (CHUK) avec lequel la SOBUH a récemment signé un accord de partenariat pour se charger de l’importation et la conservation de ces facteurs ainsi que la prise en charge des patients. Niyonkuru déplore, par ailleurs, que le CHUK n’a ni les médecins formés pour prendre en charge les hémophiles, ni les équipements de laboratoire pour le diagnostic précis de ces pathologies, ni les équipements pour la prise en charge des articulations. Actuellement, ce partenariat se limite, seulement, aux injections des facteurs et aux conseils médicaux, souligne-t-il. Même si les facteurs de coagulation sont gratuits, les patients sont confrontés à d’autres facteurs limitant l’accès aux traitements : « Bien que les facteurs de coagulation soient gratuits, les patients ou leurs familles proches peinent à avoir les frais de consultation et d’injection (environ 4 $), en raison de la fréquence des saignements, parfois dans une même semaine, et de la pauvreté. Il en est de même pour l’accès aux autres médicaments, à la kinésithérapie, aux opérations chirurgicales en cas de saignement intracrânien, etc. qui peuvent être nécessités par l’état de chaque patient. Si, par exemple, un parent a trois enfants, les frais s’alourdissent et les patients ou parents ne vont plus à l’hôpital », a-t-il explicité. Par ailleurs, la plupart des hémophiles ont des conditions articulaires précaires et manquent de frais de déplacement requis pour aller régulièrement à l’hôpital, regrette-il.

En termes de revendications auprès des autorités du secteur de la santé concernant la prise en charge de l’hémophilie, le président de la SOBUH revendique la reconnaissance formelle de cette association par le ministère en charge de la Santé publique, étant donné que certaines actions ont été déjà menées d’une manière informelle au profit des patients. Il y a, aussi, la déclaration de l’existence de l’hémophilie et d’autres troubles rares de coagulation au Burundi en la classant parmi les maladies chroniques à prioriser. Parmi d’autres revendications figurent notamment l’allègement des procédures d’importation des dons des facteurs de coagulation ou d’autres produits en dérogeant à certaines règles liées à la date d’expiration des produits pharmaceutiques qui entrent au Burundi :« Les produits comme les facteurs de coagulation ayant une date d’expiration inferieures à 6 mois devraient être autorisés à entrer au Burundi s’ils viennent sauver un patient dont la maitrise du saignement s’avère compliquée »,  estime-t-il. Il faut aussi mentionner le soutien de la SOBUH dans ses efforts d’améliorer l’accès aux soins, notamment l’organisation de la prise en charge des hémophiles, leur traitement aux urgences des hôpitaux ainsi que la reconnaissance de la gratuité de certains soins. Niyonkuru revendique, enfin la mise à la disposition des patients d’autres alternatives aux facteurs de coagulation qui sont rares et très coûteux, notamment en encourageant la fabrication du plasma de secours suffisant au Burundi.

L’hémophilie affecte la vie quotidienne des patients burundais

Niyonkuru fait remarquer que les patients, une fois diagnostiqués de l’hémophilie et informés de cette maladie, ont des sentiments ambivalents d’espoir et de peur. Selon lui, l’espoir nait car ils savent désormais que ce n’est pas de la sorcellerie ou la malédiction héritée de leurs parents et qu’ils auront des médicaments capables d’améliorer leur vie. « La peur s’installe car la disponibilité régulière des facteurs de coagulation et d’autres traitements n’est pas garantie alors que les risques des hématomes crâniens ou abdominaux, de même que l’atteinte des articulations peuvent survenir et les entrainer dans des conditions socioéconomiques précaires », explique-t-il. Il fait remarquer que le manque de moyens de subsistance, de scolarisation des enfants, des frais liés aux soins médicaux fréquents, la stigmatisation, etc. y compris la fréquence régulière des injections de facteurs de coagulation sont des éléments qui créent un climat de stress permanent tant pour les patients que pour leurs proches.

Entre temps, les personnes atteintes de l’hémophilie et leurs familles apprécient l’intervention de la SOBUH malgré son jeune âge. En effet, une famille qui vit à Matana (sud du Burundi) à 100 km de la capitale économique Bujumbura, sur la colline Matana, sous colline Kavuza, dans la localité communément surnommée Gikoma, est l’une des premières bénéficiaires de ces facteurs de coagulation.  Donatien Bamporubusa (époux) et Fidélité Bukeyeneza (épouse) ont mis au monde 7 enfants. Parmi ceux-ci, 5 sont hémophiles dont deux qui sont morts. Horus Ninyishu (15 ans), Vulcain Nishimwe (12 ans) et Lucky Blessing Iranzi (5ans), qui sont toujours en vie, sont en perpétuelle bataille contre l’hémophilie. Avant Ninyishu, étudiait au lycée Rubanga, une école à régime d’internat : « Nous avons pensé à l’envoyer dans une école à régime d’internat pour lui soulager les peines et les difficultés qu’il éprouvait en allant à l’école ou en rentrant », ont témoigné ses parents, mercredi 02 janvier 2024, au cours d’une interview avec l’ABP à leur domicile. Cependant, cette initiative prise par les parents de Ninyishu n’a duré que le temps de la rosée : « Les conditions de vie (régimes alimentaires et autres) n’ont pas permis que notre initiative dure », précise le père. Après l’échec de cette initiative, les parents ont décidé de placer l’enfant dans une école à régime d’externat. Ninyishu est actuellement dans une école relativement proche du domicile. Il fait presque 3 km. A midi, il rentre à la maison pour retourner à l’école à 13heures et rentre vers 17 heures, à pied. « Puisque je marche à pied et que je dois faire un long trajet, je suis toujours fatigué à cause de mes articulations qui commencent à se détériorer et qui me font mal déjà, ce qui impacte négativement mes résultats scolaires », raconte Ninyishu.  Il regrette, éphémèrement, qu’il ne participe pas dans des activités parascolaires et qu’il se sent, des fois, mal en observant impuissamment des enfants ou des camarades de son âge jouer alors qu’il devrait être un acteur à côté des autres : « Des fois, je suis angoissé en observant mes camarades de classe en train de jouer. Mais ce sentiment ne dure pas longtemps. Je sais déjà que je vis avec une maladie qui m’empêche de de m’épanouir », confie-t-il. Ninyishu est actuellement en 3ème post fondamental et malgré, cette maladie avec laquelle il vit ne perd jamais du courage.

Grâce aux facteurs de coagulations qu’ils reçoivent, les petits frères de Ninyishu n’ont pas encore développé les signes de complications très prononcés comme lui. Ils sont, eux aussi, comme leur grand frère sur le banc de l’école. Nishimwe étudie en 6ème fondamentale, tandis qu’Iranzi se trouve en 1ère fondamentale. Leurs parents reconnaissent avec gratitude l’action menée par la SOBUH à l’égard de leurs trois fils : « N’eût-été l’intervention de la SOBUH, nos fils ne seraient pas encore en vie », ont-ils reconnu.

Cependant, ces hémophiles qui vivent à Matana ont souvent des difficultés à accéder aux traitements et soins médicaux nécessaires pour contrôler leurs saignements et prévenir les complications. Le Burundi, en tant que pays en développement, ne dispose pas d’un système de santé efficace et de couverture complète pour les patients. Les hémophiles doivent souvent se déplacer à Bujumbura, la capitale économique du pays, pour obtenir les traitements médicaux dont ils ont besoin.

Les personnes atteintes de l’hémophilie exposées à la stigmatisation et à la marginalisation

Au Burundi, l’hémophilie est souvent associée à une malédiction, et cette association est enracinée dans les croyances et les traditions culturelles burundaises. En effet, les maladies telles que l’hémophilie, qui sont peu comprises, sont souvent mal perçus. Par conséquent, elles sont parfois associées à des superstitions ou des croyances traditionnelles, y compris celles liées à des malédictions. En raison de ces croyances traditionnelles, les personnes atteintes d’hémophilie au Burundi sont victimes de stigmatisation. Elles peuvent être considérées comme porteuses d’une malédiction ou comme étant sous l’influence de forces maléfiques, ce qui peut entraîner leur marginalisation sociale.

Les parents de ces enfants hémophiles affirment qu’ils entendent souvent dire dans l’entourage, que leur famille est maudite et que la malédiction s’y est installée. « Nos enfants atteints de l’hémophilie sont perçus par certaines personnes de l’entourage comme des marginaux », racontent-ils. Bamporubusa le père de ces enfants, a fait savoir qu’au sein même de sa famille élargie, il n’est pas compris. On l’accuse d’être l’indifférent du fait qu’il ne participe pas activement et ne contribue pas financièrement à l’organisation de certaines fêtes familiales. « Je dépense énormément pour mes enfants qui sont malades et qui sont fragiles à cause de cette maladie, mais certains membres de ma famille ne compatissent pas. Ils m’accusent souvent de ne pas participer et contribuer aux fêtes organisées au niveau familial », a-t-il confié.

Face à cette situation, il est important de promouvoir la sensibilisation et l’éducation sur l’hémophilie au Burundi pour améliorer la compréhension de la maladie et encourager le soutien et l’aide aux patients. Des programmes de formation pour les professionnels de la santé et des personnels des centres de santé communautaires peuvent aider à améliorer la prise en charge des patients et à réduire les complications associées à l’hémophilie. Enfin, il est essentiel de travailler à l’élaboration d’un programme national de traitement de l’hémophilie au Burundi, assorti d’un plan d’actions opérationnel pour garantir un accès équitable aux traitements et aux soins à tous les patients atteints de l’hémophilie. Cela nécessite une collaboration entre le gouvernement, les organisations de la société civile et les partenaires internationaux pour fournir les ressources financières et techniques nécessaires.

 

Par Jean de Dieu Ndikumasabo