BUJUMBURA, 22 juil (ABP) – Le professeur émérite Adrien Ntabona, spécialiste de la culture burundaise, appelle à restaurer trois grandes valeurs ancestrales telles que le respect de soi et d’autrui, la fidélité radicale et l’acceptation de la souffrance. Pour lui, ces piliers sont essentiels à la reconstruction morale du Burundi et à la refondation de la dignité nationale. Il l’a exprimé le dimanche 13 juillet 2025 à Bujumbura, lors d’un entretien accordé à l’ABP.
Ntabona situe ces valeurs à trois niveaux, individuel, social et religieux tout en insistant que tout commence à l’intérieur de la personne elle-même. Un être humain digne de ce nom, dit-il, est habité par un dedans vivant qui l’interpelle et le guide : « UMUTIMA MU NDA ». Selon lui, le mot « munda » ou « inda » renvoie à trois réalités profondes : le ventre, symbole de l’intérêt personnel ; la matrice, lieu de la vie ; et le cœur intérieur, siège de la conscience profonde donnée par Dieu. « On a trop de ventriotes », regrette-t-il, évoquant ceux qui ne vivent que pour leur ventre. Il rappelle la sagesse populaire : « Munda haba umutima ntihaba umutsima », pour dire que la personne humaine ne se définit pas par ce qu’elle consomme mais par ce qu’elle porte en elle de plus noble. L’umutsima, la nourriture ou les biens matériels, n’est rien si l’umutima, le cœur-conscience, n’est pas en équilibre. Le véritable combat, selon lui, se mène à l’intérieur : gérer le rapport entre le besoin matériel et l’exigence morale.
L’umutima, insiste-t-il, comprend trois dimensions notamment l’affectivité, avoir du cœur ; le discernement, interroger son cœur ; et la volonté et agir avec justesse. De cette vie intérieure découlent trois grandes valeurs transmises par les anciens : « iteka » (le respect de soi et d’autrui), ibanga (la fidélité radicale) et « ukwiyumanganya » (l’acceptation de la souffrance).
Sur le respect de soi, le Pr. Ntabona est formel : « C’est la valeur des valeurs. Il faut que les gens apprennent à se respecter ». Ce respect a trois dimensions : la confidentialité, garder un secret confié ; la fidélité à la parole donnée, kugumiriza ibanga ; et le sens du devoir, accomplir ce qu’on ne peut pas ne pas faire. Il cite des exemples concrets que nos ancêtres pratiquaient tels que : garder de l’argent confié sans reçu, éviter l’inceste, respecter les morts, les enterrer dignement, pratiquer « uguterekera » rituel d’offrande aux ancêtres, signe de lien vivant avec les disparus. Celui qui ne respecte pas ces devoirs fondamentaux n’a pas d’ibanga ; c’est un animal qui s’ignore, « agakoko », une bête féroce, dangereuse pour la société », avertit-il.
Concernant « ukwiye manganya », l’acceptation de la souffrance, il explique que cela vient du mot « kwuma », se rendre sec à l’intérieur. Accepter de souffrir pour une cause, tenir bon face à la douleur, c’est cela être humain. Il souligne que les Burundais sont riches de cette valeur : ils savent mêler l’humour à la douleur, et cette capacité à rire dans la peine est une force culturelle profonde. « L’humour est une façon d’exprimer l’endurance », dit-il. Pour le Pr. Ntabona, les valeurs burundaises sont fortes, mais exigeantes. Elles appellent au sacrifice, à la transmission, à l’humanisation progressive de génération en génération : « Celui qui ne cherche que ce qui va dans son ventre est un danger pour la société. Il faut apprendre à équilibrer umutima et umutsima. C’est cela qui fait l’homme ».