LILLESTROM, 24 juin (abp) – La ville de Lillestrøm, en Norvège, abrite cette semaine la 20ème édition du Forum sur la gouvernance d’internet (IGF : Internet Governance Forum), une initiative phare des Nations unies. Du 23 au 27 juin, plus de 8 000 participants, venus du monde entier, se réunissent au centre Nova Spektrum pour débattre de l’avenir du numérique mondial. Plus de 150 sessions sont au programme, couvrant les grands défis et opportunités liés à l’écosystème de l’Internet, a-t-on constaté sur place.
Un événement de portée mondiale
IGF est le plus grand événement onusien jamais organisé en Norvège, a-t-on appris. Ledit forum accueille une diversité d’acteurs en l’occurrence les responsables politiques, entreprises technologiques, chercheurs, activistes et journalistes. L’objectif commun : bâtir une gouvernance d’Internet plus inclusive, équitable et responsable. L’édition 2025 se tient sous le thème « Building Digital Governance Together » (Construire la gouvernance numérique ensemble), dans un contexte géopolitique où le numérique devient un levier stratégique.
Des débats au cœur des enjeux numériques
L’intelligence artificielle, la protection des données, l’accès équitable à Internet et la lutte contre la désinformation, la cyber criminalité figurent etc. parmi les sujets les plus débattus. La durabilité des infrastructures, la sécurité des jeunes en ligne et la souveraineté numérique préoccupent également de nombreux pays, en particulier ceux du Sud.
Une vitrine pour la coopération internationale
La tenue de ce forum en Norvège pays reconnu pour son attachement aux libertés numériques tranche avec l’édition précédente, organisée en 2024 en Arabie saoudite, souvent critiquée pour ses restrictions. L’IGF 2025 marque ainsi une volonté renouvelée de renforcer la coopération internationale autour d’un Internet plus libre et sécurisé.
Les cérémonies officielles d’ouverture de ce Forum se sont déroulées mardi 24 juin 2025. Dans son message vidéo livrée par le Secrétaire Général des Nations unies, António Guterres, a souligné qu’au fil des années, la Norvège a démontré comment le dialogue entre les secteurs, les régions et les générations peut contribuer à façonner un internet fondé sur la dignité, les opportunités et les droits humains. Il en outre indiqué que cet effort se poursuit en 2025 à travers le thème de la construction collective de la gouvernance numérique, un sujet d’une actualité brûlante.
Guterres a également mentionné qu’il y a neuf mois, le Pacte pour le futur et le Pacte Mondial Numérique ont reconnu le Forum de la Gouvernance d’Internet (IGF) comme la principale plateforme multipartite pour les questions de gouvernance d’Internet. Par ailleurs, a-t-il poursuivi, ce pacte a également appelé à une participation élargie des pays en développement, soutenue par un financement volontaire.
Depuis, a-t-il précisé, « nous avons commencé à traduire ces engagements mondiaux en actions concrètes. A New York, des négociations sont en cours pour établir un panel scientifique international indépendant sur l’intelligence artificielle, ainsi qu’un dialogue mondial sur la gouvernance de l’IA au sein des Nations Unies ». A Genève, a poursuivi le chef de l’ONU, un nouveau groupe de travail multipartite des Nations Unies fait progresser les principes relatifs à la gouvernance des données et au développement durable. Face à l’accélération des risques numériques, Guterres a insisté sur la nécessité d’intensifier l’action. Cela signifie, a-t-il expliqué, réduire la fracture numérique en élargissant l’accès abordable et significatif à l’Internet afin d’atteindre une connectivité universelle d’ici 2030. Il faut aussi combler le déficit des compétences, lutter contre la désinformation et les discours de haine en ligne, et promouvoir l’intégrité de l’information, la tolérance et le respect. Par ailleurs, a-t-il insisté, il est essentiel de s’attaquer à la concentration du pouvoir numérique entre les mains de quelques-uns, tout en favorisant une plus grande diversité, transparence et confiance dans les espaces numériques.
« Il y a vingt ans, l’idée de coopération numérique était une ambition audacieuse, mais aujourd’hui, elle est devenue une nécessité absolue et une responsabilité partagée. Continuons à bâtir ensemble ce futur numérique, un avenir où chaque individu est protégé et où personne n’est laissé de côté, peu importe où il se trouve sur cette planète connectée », a conclu Guterres.
« Il y a vingt ans, l’IGF est né d’une vision audacieuse : Internet, cette force qui façonne notre monde, ne doit pas être gouverné par quelques-uns, mais par tous. Aujourd’hui, je crois que cette vision est plus importante que jamais. Nous nous réunissons à une époque de turbulences mondiales et de forte polarisation. La confiance dans les plateformes médiatiques, dans les informations et les nouvelles, voire dans les agences gouvernementales, est mise à rude épreuve », a déclaré Jonas Gahr Støre, premier ministre norvégien dans un message vidéo qu’il a livré à cette occasion.
Il a souligné que, dans certaines régions d’Europe et du Moyen-Orient, les populations traversent une période de guerre sanglante. Ainsi, a-t-il déploré, le domaine numérique, autrefois symbole d’ouverture, d’opportunités, de réseaux et de rapprochement entre les peuples, est de plus en plus marqué par la fragmentation, la surveillance, la désinformation, mais aussi la mésinformation. Pourtant, affirme-t-il, même dans ce climat fragmenté, l’Internet demeure un puissant lien social et un acteur clé.
Gahr revient sur le rôle essentiel d’internet dans un monde en mutation : « l’internet franchit les frontières, amplifie les voix et stimule l’innovation. N’oublions pas cela, souligne-t-il. L’internet n’est plus une frontière : il est devenu le socle des économies, des démocraties et de la vie quotidienne, pour toutes les générations ». Alors que des technologies transformatrices, telles que l’intelligence artificielle ou l’informatique quantique, s’accélèrent, il invite à une réflexion lucide : « Il ne s’agit plus seulement de se demander ce qu’il est possible de construire, mais aussi ce qu’il est nécessaire de protéger. Il faut sauvegarder l’internet, non pas comme une propriété privée, mais comme une confiance publique, un espace partagé, qui doit rester ouvert, libre, accessible à tous : un bien public mondial », insiste-t-il.
Gahr conclut qu’à l’aube d’une nouvelle ère, la prochaine génération doit hériter d’un commun numérique où les perspectives sont accueillies, les idées encouragées, et la technologie mise au service de l’humanité, pour le bénéfice de tous. « Il ne s’agit pas seulement de protéger l’infrastructure d’internet, mais aussi de défendre son esprit, celui de l’inclusion et de l’innovation puissante », déclare-t-il, soulignant ainsi l’importance de préserver cet espace comme un bien public mondial.
Le Saint-Siège met en garde contre les dérives de l’intelligence artificielle
Monseigneur Lucio Adrian Ruiz, Secrétaire du Dicastère pour la communication du Saint-Siège souligne que « l’intelligence artificielle ne doit pas être considérée comme un sujet ». Il précise qu’elle « ne pense pas, n’agit pas et ne ressent pas », rappelant ainsi qu’il ne s’agit que d’un produit de l’ingéniosité humaine, qui doit impérativement être accompagné d’une responsabilité morale.
Il met en lumière le contraste fondamental entre l’intelligence humaine et les systèmes d’IA : « Notre intelligence, insiste-t-il, est incarnée, relationnelle et morale, capable de compassion, de vérité et de liberté. En ce sens, confondre l’IA avec l’intelligence humaine reviendrait à réduire l’être humain à de simples calculs, avec un risque concret de déshumanisation ».
Par ailleurs, Monseigneur Ruiz attire l’attention sur les effets de l’intelligence artificielle dans les différents secteurs de la vie sociale. Il indique que, dans le domaine de l’éducation, l’IA peut jouer un rôle de soutien, mais insiste sur le fait que rien ne peut remplacer la relation entre l’enseignant et l’élève, où se transmettent les valeurs, l’esprit critique et la liberté intérieure.
En effet, dans le domaine de la santé, il affirme que l’IA peut appuyer les diagnostics, mais ne pourra jamais remplacer des dimensions profondément humaines telles que le soin, l’écoute et l’empathie. De même, en matière de communication, il mentionne que les systèmes génératifs peuvent éroder la vérité, rendant la réalité plus fragile et plus manipulable. « La vérité et l’authenticité sont des biens de plus en plus fragiles qu’il faut absolument préserver », avertit-il.
S’agissant des implications politiques et sociales, le représentant du Saint-Siège alerte sur le risque de polarisation, de désinformation et de surveillance, en cas d’absence de transparence sur les critères de sélection et de diffusion des contenus. Il déclare que, dans le domaine militaire, « aucune machine ne devrait jamais décider de la vie ou de la mort d’un être humain ». Ainsi, les armes autonomes sont, selon lui, éthiquement inacceptables.
Par ailleurs, Monseigneur Ruiz évoque les impacts environnementaux de l’IA. Il reconnaît que ces technologies peuvent contribuer à la durabilité. Cependant, leur empreinte écologique est significative. Il appelle donc à des innovations inspirées non seulement par des critères d’efficacité, mais également par une sagesse du cœur, qui conjugue savoir et conscience, liberté et responsabilité, justice et solidarité.
Enfin, le Saint-Siège réaffirme son appel en faveur d’une gouvernance éthique des technologies numériques. « Le futur numérique ne sera véritablement humain que s’il est aussi juste, inclusif, relationnel et porteur de sens spirituel », conclut Monseigneur Ruiz. Il plaide ainsi pour que l’Internet et toutes les technologies émergentes soient guidés par des valeurs communes, des règles partagées, et la conscience que l’être humain en est le centre, la finalité et le cœur.
De son côté, Dharambeer Gokhool, président de l’île Maurice, a présenté la transformation de son pays. Il a rappelé qu’il est passé d’une économie agricole à une économie numérique diversifiée. Il a insisté sur la nécessité de protéger les plus vulnérables : «Nous devons collectivement éviter la fracture numérique ».
Pour lui, la haute technologie doit rester humaine. Il plaide pour une gouvernance multipartite, centrée sur les personnes et fondée sur les droits. Il appelle à garantir que personne ne soit mis de côté. En particulier, les enfants, les personnes âgées et celles ayant des besoins spécifiques doivent être protégés.
Le Burundi également concerné
Selon les données accessibles, le Burundi est aujourd’hui également concerné par l’Internet Governance Forum (IGF). En avril 2024, le chapitre burundais de l’Internet Society a relancé le FGI-Burundi (Forum sur la gouvernance de l’Internet), dix ans après sa dernière édition, sous le thème « Favoriser l’accès à un Internet abordable pour tous ». Par ailleurs, lors du 11ème East Africa IGF de septembre 2024 à Kampala, Jean‑Paul Nkurnziza, président national du FGI-Burundi, a présenté un rapport soulignant tant les progrès réalisés, notamment 5 000 km de fibre optique sur l’ensemble du territoire, que les défis persistants comme les coupures d’électricité fréquentes et la dépendance aux générateurs. Il a ainsi appelé à un financement de sources d’énergie renouvelable et un renforcement des compétences locales pour assurer un accès durable à Internet. Ces initiatives illustrent l’engagement croissant du Burundi dans les débats multilatéraux sur la gouvernance de l’Internet, tant sur le plan national que régional.
Ainsi, dans un monde de plus en plus interconnecté, les décisions prises à l’IGF influencent directement les politiques numériques des pays en développement. Le Burundi, confronté à des défis en matière de connectivité, de cybersécurité et d’inclusion, a tout à gagner à suivre de près les recommandations issues de ce forum.