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Les maladies rares au Burundi : une menace méconnue et sous-estimée 

ByAdministrateur

Jan 19, 2024

BUJUMBURA,  19 janvier  (abp)- La situation globale des maladies rares présente des défis importants en termes de prévalence, diagnostic, d’accès aux traitements et de soutien aux patients. Au Burundi,  les maladies rares constituent un problème majeur pour la Santé publique. Elles sont souvent négligées et sous-estimées en raison de leur faible prévalence, ce qui rend leur détection et leur traitement difficiles. Les patients atteints de maladies rares rencontrent souvent des obstacles pour accéder aux soins et traitements appropriés.

Dr Jean de Dieu Havyarimana

Docteur Jean de Dieu Havyarimana, Directeur du Programme national intégré de lutte contre les maladies chroniques non transmissibles au ministère de la Santé publique et de la lutte contre le Sida, indique qu’une maladie est définie comme rare quand elle ne touche qu’un nombre limité de personnes et qu’une maladie rare atteint moins d’une personne sur 2000 au sein d’une population.  Dr Havyarimana qui s’exprimait, le 17 décembre 2023 lors d’une interview accordée à l’ABP, indique que la situation épidémiologique des maladies rares est peu connue au Burundi suite à des recherches scientifiques qui ne sont pas trop orientées, si elles sont faites, vers ces maladies qui ne sont pas considérées comme problème de santé publique. En effet, a-t-il signifié, la plupart des recherches se bornent beaucoup sur des maladies transmissibles. Ces derniers temps, elles se font  sur les quelques maladies non transmissibles. Aussi, a-t-il poursuivi, les professionnels de soins ont peu de connaissances sur ces maladies rares, d’où le peu d’intérêt, pour les rapporter au niveau du DHIS2 (District Health Information System 2) afin d’avoir des statistiques sur ces maladies.  Selon Dr Havyarimana, cette situation ne signifie  pas que ces maladies, qui sont  à 80 % d’origine génétique, n’existent pas au Burundi. Sans être exhaustif, il fait  l’inventaire  des maladies rares qui affectent la population burundaise, entre autres,  l’albinisme, le Daltonisme, les hémochromatoses, la maladie de Duchenne, l’amyotrophie spinale, l’hémophilie et la sclérose en plaque.

Certains burundais attribuent les maladies rares aux fétiches et à la malédiction, ce qui fait que, souvent, les personnes atteintes de ces maladies font souvent objet de stigmatisation,  de rejet et de l’incompréhension. En effet, une famille qui habite à Matana (sud du Burundi) à 100km de la capitale économique Bujumbura, est l’exemple éloquent de cette triste réalité. Donatien Bamporubusa (époux) et Fidélité Bukeyeneza (épouse) est un couple qui vit  sur la colline Matana, sous colline Kavuza, dans la localité communément dénommée Gikoma. Ils ont mis au monde 7 enfants. Parmi ceux-ci, 5 sont hémophiles dont deux  ne sont plus de ce monde. Horus Ninyishu (15 ans), Vulcain Nishimwe (12 ans) et Lucky Blessing Iranzi (5 ans), qui sont toujours en vie, vivent avec l’hémophilie. Malgré cette bataille perpétuelle contre l’hémophilie ils ne se découragent pas et gardent la joie de vivre, avec tous les rêves de gagner la vie.  Cependant, leurs parents vivent le calvaire au quotidien : « Nous entendons souvent dire dans notre entourage, que notre famille est maudite et que la malédiction s’y est installée. Nos enfants atteints de l’hémophilie sont aperçus par certaines personnes de l’entourage comme des marginaux», racontent-ils. Le grand frère de Mme Fidélité qui a 40 ans vit, lui aussi,  avec l’hémophilie ; et l’entourage part de cette réalité pour accuser Fidélité d’être à l’origine du mal. C’est pour cette raison que certains individus cherchent, souvent, à convaincre le mari à couper les liens avec son épouse : « Ils ne cessent de me faire croire que j’ai pris une mauvaise route en me mariant avec Fidélité ; ils oublient, tout de même,  que c’est la femme de ma vie et qu’elle n’a aucune responsabilité pour que les choses soient ainsi. En plus, en tant qu’intellectuel, je ne devais pas écouter les propos sans fondement logiques. Seules les explications scientifiques sont convaincantes pour moi », a témoigné  Bamporubusa, mercredi le 03 janvier 2024 lors d’une interview avec l’ABP à son domicile.

« C’est dans la coutume. Quand les burundais ne savent ou ne comprennent pas une chose, et surtout une maladie ou des calamités qui s’abattent sur eux ou sur les  leurs, ils ont tendance à attribuer cela à une  malédiction et aux fétiches. Dans ce cas, le mieux est que ceux qui ont eu la chance d’être informés ou d’étudier, d’éclairer l’opinion et la sensibiliser et la population à ne pas croire à l’obscurantisme mais de consulter les professionnels de soins chaque fois qu’ils sont confrontés à une situation difficile à cerner », a réagi  Dr. Havyarimana face à cette douloureuse vérité. Bien que la plupart de ces maladies rares ne se soigne pas, précise-t-il, des thérapies ou des soins palliatifs offerts aux malades qui peuvent améliorer la qualité de vie des malades et ainsi prolonger leur vie.

Le diagnostic précoce et la prise en charge des maladies rares face à des obstacles majeures.

Selon, Dr. Havyarimana, les ressources disponibles au niveau national pour le diagnostic, le traitement et la prise en charge des patients atteints de maladies rares sont limités, et les conséquences sont sensibles : « Au Burundi, le diagnostic de ces maladies est souvent fondé sur les connaissances de certains médecins spécialistes. Ils font une suspicion clinique de la maladie car les biologies moléculaire ou le séquençage génétique sont indisponibles. Malheureusement cette procédure conduit à l’errance diagnostique car elle est faite tardivement, avec des conséquences économiques énormes dans les familles », déplore-t-il. Concernant le traitement, il souligne que  la plupart de ces maladies sont chroniques et non traitables.  Mais, indique-t-il, les médecins essaient de prolonger la vie et d’améliorer la qualité de vie des patients par des traitements symptomatiques, dans un contexte d’absence de soins palliatifs structurés. Dr Havyarimana précise, en outre,  que le diagnostic précoce des maladies rares fait face à de nombreux obstacles, avec des conséquences énormes qui pèsent sur malade. Ce professionnel de la santé évoque, entre autres, l’ignorance de la population ou la croyance aux fétiches et à la sorcellerie au lieu de se confier aux professionnels de la santé. Les malades recourent souvent aux pratiques obscures, aux chambres de prières et/ou aux féticheurs. Il y a, également,  l’indisponibilité des tests diagnostiques plus poussés (absence de laboratoires de biologie moléculaire) pour aider ceux qui le peuvent qui, le cas échéant, doivent souvent se rendre à l’étranger. Quant au traitement, il  fait savoir que les maladies rares sont souvent chroniques et non traitables même dans les pays développés. Le traitement se fonde sur les symptômes qu’il faut soulager, notamment la douleur. Pour le cas du Burundi, Dr  Havyarimana révèle que ce volet de médecine de la douleur n’est pas, du tout, développé et que  les soins palliatifs sont quasi-inexistants dans le pays. Les antalgiques utilisés souvent, à tort et à travers, ne sont pas dépourvus d’effets indésirables, surtout sur le foie,  et peuvent détériorer la santé des malades, a-t-il déploré.

Des initiatives visant à améliorer l’accès aux soins pour les personnes atteintes de maladies rares  au stade embryonnaire.

Dr Havyarimana garantit l’existence des programmes spécifiques ou des initiatives visant à améliorer l’accès aux soins pour les personnes atteintes de maladies rares mais il estime, cependant, que ces dernières sont confrontées à d’énormes difficultés. « Il y a des initiatives, mais non coordonnées, de la société civile  et des associations des malades et/ou des professionnelles de soins travaillant dans le cadre de la sensibilisation et l’accompagnement psycho-social », a-t-il déclaré. Il répertorie, par ailleurs, quelques rares  associations opérant dans ce sens en l’occurrence, l’Association de lutte contre la douleur (ASLUD), l’Association burundaise de soins palliatifs (ABSPA), les associations des albinos du Burundi et  la Solidarité burundaise contre l’Hémophilie (SOBUH). « Malheureusement, ces initiatives ne sont pas soutenues et leurs interventions restent souvent invisibles », regrette  Dr. Havyarimana.

Le manque de ressources financières et matérielles limite la capacité de ces associations à fournir un soutien adéquat aux patients atteints de maladies rares. De plus, l’absence d’une politique gouvernementale spécifique pour ce type de maladies rend difficile l’accès aux soins et aux traitements appropriés. Egalement, le manque de coordination entre les différentes parties prenantes, y compris les professionnels de la santé, les autorités gouvernementales et les organisations non gouvernementales entrave les efforts visant à améliorer la prise en charge des maladies rares au Burundi. Enfin, les défis liés à l’isolement géographique et à l’accessibilité aux services de santé aggravent encore la situation pour les patients atteints de maladies rares dans le pays.

Dr. Chamy Mikaza, vice-présidente de l’ABSPA,  signale  que cette dernière fait face à de nombreuses difficultés qui l’empêchent d’accomplir sa principale mission de promouvoir et d’assurer l’accès aux soins palliatifs à ceux qui en ont besoin. Selon elle, ces maladies rares évoluent dans la plupart des cas vers des maladies chroniques qui nécessitent, spécifiquement, des soins holistiques sur tous les plans (physique, émotionnel, spirituel et social). D’après elle, cette association est toujours au stade embryonnaire, raison pour laquelle elle  n’a  pas encore réalisé grand-chose : « Notre association est encore jeune. Elle a été agréée en juin 2023, et n’a pas encore fait grand-chose pour les malades.  Mais nous espérons pouvoir bientôt arriver à notre vision, en partenariat avec les autres parties prenantes dont le ministère ayant la Santé publique dans ses attributions et les autres partenaires nationaux ou internationaux avec qui nous sommes en discussions », a-t-elle dit.

Dr Mikaza retrace, par ailleurs, les principaux obstacles auxquels ils sont confrontés au sein de l’ABSPA dans la fourniture des soins palliatifs aux personnes atteintes de maladies rares  au Burundi. Elle évoque, notamment, les barrières en ressources humaines, matérielles et financières, les soins palliatifs qui ne sont pas encore inscrits dans les priorités du ministère de la Santé publique, mais aussi et surtout, le manque de financements internes et externes pour la cause des soins palliatifs. Dr Mikaza mentionne, également,  l’indisponibilité de certains intrants, comme la morphine dans sa forme orale qui est  la plus abordable et facile à manipuler pour les malades.

En termes de doléances, Dr Mikaza soulève les principales revendications en matière de politiques publiques pour améliorer la prise en charge des personnes atteintes de maladies rares au Burundi. A cet égard, elle relate l’intégration des soins palliatifs dans le paquet de soins primaires offerts au Burundi, à travers tous les niveaux de la pyramide sanitaire, et la mise en place d’un laboratoire pouvant assurer la reconstitution de la morphine orale pour rendre accessible financièrement et géographiquement ce produit phare dans la prise en charge des maladies chroniques dont les maladies rares et leurs effets. De plus, Dr  Mikaza insiste sur l’inclusion des soins palliatifs et la médecine de la douleur dans la formation de base des infirmiers et médecins burundais.

Dr Chamy Mikaza

Face à cette situation, il est crucial de continuer à sensibiliser la population étudier les facteurs de risques, améliorer les infrastructures de santé et recourir à la coopération internationale pour lutter contre les maladies rares au Burundi. Les efforts conjoints des gouvernements, des chercheurs, des organisations de santé et de la société civile peuvent contribuer à améliorer la qualité de vie des personnes atteintes de ces maladies et à réduire leur impact sur la population.

Jean de Dieu Ndikumasabo