BUJUMBURA, 29 mars (ABP) – Léoncie Nshimirimana est une femme leader active dans la lutte contre les violences basées sur le genre (VBG). Agée d’une soixantaine d’années, mariée et mère de 8 enfants, elle habite sur la colline Kirema de la commune et province Kayanza. Vers les années 2000, au cours de la période des hostilités qu’a connue le Burundi, cette province du nord du Burundi proche de la Kibira , a enregistré beaucoup de victimes des VBG et surtout des violences sexuelles.
Après avoir échappé à une tentative de viol pendant cette période, en 2004, Mme Nshimirimana a créé l’association « Murekerisoni » qui signifie « Préserver notre dignité ». Les membres de cette organisation sont éparpillés dans toutes les communes de la province de Kayanza. Depuis 2004, cette organisation qui est née sur l’initiative de Mme Nshimirimana et qui en assure la présidence, accompagne les victimes en les référant vers le Centre SERUKA qui se trouve en Mairie de Bujumbura.
Au cours d’une interview qu’elle a accordée à l’ABP le 11 février 2024, cette actrice de la société civile burundaise a indiqué que son organisation aide aussi les victimes des VBG en leur montrant la voie à suivre pour dénoncer les auteurs de ce crime pour qu’ils soient traduits en justice.
Nshimirimana note aussi que les cas de viol et de violences physiques sont les cas de VBG les plus reçus par l’association « Murekerisoni, précisant que les filles et les femmes sont plus nombreuses que les hommes et les garçons. Pour les victimes des VBG qui ont trouvé la mort et qui ont laissé des enfants, Léoncie Nshimirimana, à travers les activités de Murekerisoni s’occupe de leurs orphelins. Pour le cas des femmes qui ont été refoulées par leurs maris pour avoir été violées, Mme Nshimirimana joue le rôle de médiateur entre les femmes refoulées et leurs époux pour que ces femmes puissent regagner leurs foyers. Lorsque la médiation échoue, elle cherche une maison à louer pour ces femmes.
Grâce aux appuis qu’elle reçoit des partenaires à travers l’association Murekerisoni, Mme Nshimirimana organise des séances de sensibilisation à l’endroit des femmes de sa localité sur leurs droits et sur la lutte contre les VBG dans leurs entourages.
S’agissant des conséquences liées à son activisme, Mme Nshimirimana est parfois menacée par les familles des auteurs des VBG qui sont poursuivis par la justice. Néanmoins,elle ne désarme pas. Elle continue à mener une lutte sans merci contre ce mal de société.
Léoncie Nshimirimana a même déjà décroché des prix de la part du ministère de la solidarité nationale, des affaires sociales, des droits de la personne humaine et du genre, en 2019 et en 2021.C’ était à l’occasion des 16 jours d’activisme de lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles.
Mme Aline Nzikoruriho de la colline Cuhiro en commune et province Kayanza, âgée de 42 ans, a été victime des VBG. Elle a été aidée par Mme Nshimirimana.: « J’étais légalement mariée à un homme originaire de la colline Karurusi de la commune Gatara( province Kayanza).
Nous avons eu ensemble 4 enfants et avons vécu ensemble pendant une longue période. Par la suite, notre famille a été frappée par la pauvreté à tel enseigne qu’en 2015, mon mari a décidé de quitter le foyer pour aller chercher de l’emploi durant toute une année. Pendant toute cette période de son absence, j’ai tout fait pour subvenir aux besoins de mes enfants car mon mari ne m’a envoyé aucun sou. J’ai bénéficié d’un appui financier de l’association dont j’étais membre. Cela m’a permis d’acheter un porc et des lapins. Avec cet élevage, j’ai pu obtenir du fumier pour ma propriété.
À son retour, en 2016 dans une semaine seulement, mon mari avait déjà vendu presque tous les biens familiaux y compris les porcs et les lapins à mon insu. Il utilisait l’argent pour ses propres besoins ; il rentrait ivre et me maltraiter du jour au lendemain. J’ai porté plainte auprès des notables collinaires qui lui ont demandé de faire retourner tous ce qu’il a vendu, mais en vain. J’ai finalement pris l’option de regagner ma famille biologique avec mes enfants et une grossesse d’un mois. L’affaire a été portée devant les instances judiciaires. Pour se venger, il m’a rencontrée chez ma famille biologique et m’a cassée les bras et l’œil droit à l’aide d’une machette. Mme Nshimirimana et ma famille m’ont conduit à Bujumbura au centre SERUKA.
J’ai également bénéficié de l’assistance médicale de l’association d’aides aux femmes et aux enfants vulnérables (AFEV).
Quatre jours après, il a été interpellé par la police avant d’être traduit en justice et condamné à 5 ans de prison et 2 millions de Fbu pour ma réparation. A ma grande surprise désagréable, il a été libéré après 3 ans et ne m’a même rien donné comme réparation. Actuellement, je constitue toujours une charge pour ma famille biologique étant donné que je suis devenu handicapée. Je ne peux rien faire, malgré les opérations médicales ; je suis restée avec un seul œil et mes bras ne sont plus fonctionnels », a -t- elle témoigné.
Selon le président de la Commission nationale indépendante des droits de l’homme (CNIDH) le Dr Sixte Vigny Nimuraba, les VBG constituent l’une des violations des droits de l’homme les plus graves. Ces dernières entraînent des conséquences graves sur la vie des victimes et sur l’harmonie sociale, a-t-il précisé.
Le président de la CNIDH indique que le rôle des femmes leaders est incontournable surtout dans la vulgarisation de la loi numéro 1/13 du 22 septembre 2016 portant prévention, protection des victimes et répression des VBG. Les femmes leaders doivent prendre le devant dans la sensibilisation de la population burundaise.
Selon ce défenseur des droits de l’homme, les femmes et filles devraient dénoncer systématiquement tout cas de VBG et tentative de règlement à l’amiable ainsi que l’inaction des acteurs de la chaîne pénale. Les femmes parlementaires devraient initier des projets de lois visant à protéger les droits d la femme.
D’après Emérence Bucumi, Présidente du forum national des femmes (FNF),les VBG sont omniprésentes dans la société burundaise que ça soit chez les personnes instruites et non instruites, les riches et les pauvres. Les femmes leaders ont un grand rôle à jouer en aidant leurs semblables en les incitant à éviter certains comportements qui peuvent être à l’origine des VBG. Elle a donné l’exemple d’un homme qui peut maltraiter sa femme à cause d’une autre femme ou une fille qui est sa concubine.
Les femmes leaders sensibilisent les autres sur leurs droits, et sur la manière de renforcer leur pouvoir économique.
Le porte- parole du ministère de la solidarité nationale, des affaires sociales, des droits de la personne humaine et du genre M. Ildefonse Majambere a confirmé l’existence des VBG au Burundi. Il a précisé qu’au cours de l’année 2023, le centre Humura de Gitega a reçu 1359 cas de victimes pour toutes les formes de VBG. Pour la période d’août à décembre 2023, a- t-il dit, le centre Humura de Rumonge a reçu 337 cas de victimes des VBG.
Mme Gloriose Nyakuza est l’une des prestataires de soins au centre Seruka. Elle a indiqué que ce centre fait une prise en charge holistique en donnant aux victimes des VBGs une prise en charge médicale complète avec un kit complet. Ce centre assure aussi une prise en charge psychologique, juridique et une assistance judiciaire.
La majorité des victimes des VBG qui fréquentent le Centre SERUKA sont les femmes et les filles y compris les mineurs de moins de 18 ans dans les proportions de 95%, et un pourcentage de 5% pour les hommes et les garçons. Les nombre de cas des VBG reçus par le Centre SERUKA de 2017 à 2023 s’élève à 8389 pour les femmes et 495 pour les hommes et 6142 pour les mineurs de moins de 18ans. Les violences sexuelles viennent en tête et les violences physiques constituées en grande partie des femmes battues viennent en deuxième position. Abp oi/on MARS 24.