BUJUMBURA, 03 mars (abp)- La loi burundaise sur la cybercriminalité adoptée et promulguée il y a deux ans pour encadrer et réprimer les infractions commises en ligne, marque une étape cruciale dans la protection numérique du pays. Au moment où la police judiciaire (PJ) enregistre une hausse des cas signalés, un expert en droit numérique dénonce des lacunes législatives qui entravent l’efficacité des poursuites. Parallèlement, des victimes témoignent des conséquences parfois dramatiques de la cybercriminalité. La Sextorsion, l’usurpation d’identité, les vols des données informatiques, le cyberharcèlement, etc ., sont des formes de cybercriminalité qui prennent de plus en plus une allure inquiétante au Burundi. Où en est réellement la lutte contre la cybercriminalité au Burundi ?
La cybercriminalité est définie par l’ONU comme étant tout comportement illégal faisant intervenir des opérations électroniques qui visent la sécurité des systèmes d’information et des données qu’elles traitent.
Avec le développement des cyberattaques et la multiplicité de ses mécanismes et outils, la politique préventive est plus efficace que leurs homologues curatifs. La tendance internationale est basée sur le renforcement des indicateurs de prévention des cyberattaques et sur l’amélioration des indicateurs de cybersécurité numérique mais pas au niveau individuel.
Le Dr David Kwizera, expert en droit numérique et professeur à l’Université du Burundi, souligne que, comme tous les autres Etats, le Burundi fait face à l’exigence croissante d’adopter les technologies numériques. Selon lui, le numérique est aujourd’hui omniprésent dans la vie quotidienne des Burundais. « L’Etat met en place des politiques pour intégrer le numérique dans différents secteurs. Certes, comparé à d’autres pays, le Burundi accuse un certain retard, mais il est sur la bonne voie. L’adoption des technologies numériques progresse, et nous espérons qu’elle s’accélérera bientôt afin que le pays puisse en tirer pleinement parti ». Selon lui, ces technologies ont déjà prouvé leur impact positif, que ce soit sur la société, les relations humaines, l’économie ou le développement en général. En outre, Dr Kwizera précise que le droit du numérique est une branche du droit, au même titre que le droit pénal, le droit civil ou encore le droit commercial. Le droit du numérique, c’est le droit lié aux technologies de l’information et de la communication qui couvre tous les aspects juridiques en lien avec ces technologies, explique-t-il. Il fait remarquer que cette branche englobe plusieurs domaines :« Sur le plan pénal, on parle de cybercriminalité. Sur le plan commercial, il y a le commerce électronique. En matière civile, on retrouve des contrats électroniques et bien d’autres aspects. En résumé le droit du numérique prend en compte l’utilisation des Technologies de l’information et de la communication (TIC) dans les relations juridiques, qu’il s’agisse de rapports entre individus, entreprises ou institutions, dans des domaines aussi variés que le droit civil, commercial, pénal ou des affaires ».
Dr Kwizera salue d’abord la mise en place de cette loi avant de se prononcer sur la question de savoir si elle répond pleinement aux préoccupations initiales :« Avant même de dire si oui ou non la loi a répondu l’intégralité de tous les soucis qu’on rencontrait, il faut, d’ores et déjà, se réjouir qu’on ait pu se doter de cette loi. Cela faisait des années qu’on cherchait un cadre légal pouvant encadrer un domaine en constante évolution ».
Selon cet expert en Droit du numérique, les chiffres parlent d’eux-mêmes. « Si l’on regarde les données, notamment celles de la police, et plus précisément de la section chargée de la cybercriminalité, on constatait une hausse des actes de cybercriminalité au Burundi. Or, il n’existait pas de loi spécifique pour les encadrer. Certes, le code pénal prévoyait quelques dispositions pour réprimer certaines infractions liées à la cybercriminalité, mais cela restait insuffisant. La situation était d’autant plus complexe que les juges, qu’ils soient civils ou pénaux, éprouvaient des difficultés à sanctionner ces comportements en appliquant un texte général à des infractions qui, elles, sont spécifiques », explique-t-il.
Il souligne qu’il fallait une loi spéciale, précisant de manière claire et technique quelles infractions peuvent être commises dans le cyberespace, tout en définissant les autorités compétentes et les organes habilités à traiter ces questions. « Cette loi est venue apporter des solutions aux problèmes auxquels nous étions confrontés. Bien sûr, il n’y a pas de rose sans épines, elle comporte des imperfections, et j’y reviendrai. Mais elle a au moins le mérite d’exister et d’agir comme un garde-fou pour dissuader les délinquants mal intentionnés, car ils sont désormais au courant l’existence d’une loi ».
Même si Dr Kwizera salue la mise en place de la loi sur la cybercriminalité au Burundi, certaines imperfections restent à relever : « On ne peut pas dire que cette loi est parfaite ou qu’elle répond à toutes les préoccupations. Elle est perfectible et doit être améliorée. C’est d’ailleurs le premier constat. Elle pose des principes fondamentaux, mais n’approfondit pas suffisamment les aspects techniques nécessaires pour réprimer efficacement la cybercriminalité ».
Ce professeur d’université estime qu’actuellement, le Burundi fait face à des cybercriminels ordinaires qui ne sont pas encore des professionnels en la matière. Il met en évidence la nécessité de prendre le taureau par les cornes en révisant cette loi sur la cybercriminalité.
« Aujourd’hui, nous faisons face à des cybercriminels ordinaires, voire des charlatans, si je peux dire. Mais il existe aussi des professionnels : des hackers, ceux qui envoient des virus, des spams, des chevaux de Troie (ou/Trojan horses en anglais), et bien d’autres menaces. Certains sont capables de démolir une banque entière, de perturber un système d’information ou même de menacer un Etat. Il y a des cybers terroristes, de véritables experts en la matière ».
Selon lui, ces profils de cybercriminels n’ont pas été suffisamment pris en compte dans la loi actuelle, d’où cette loi devrait être revue pour intégrer ces aspects.
Nécessité d’intégrer certains aspects dans la loi pour faire face aux nouvelles menaces numériques
En tant qu’expert en droit numérique, Dr David Kwizera propose certains aspects à intégrer dans la loi révisée sur la cybercriminalité. « Si des améliorations sont apportées, il faudrait également une version révisée de la loi. Actuellement, telle qu’elle est, je dirais qu’elle reste simpliste. J’ai bien souligné qu’elle ne couvre pas certains aspects essentiels. En effet, cette loi ne compte que 70 articles, et parmi eux, seules quatre catégories d’infractions ont été traitées ».
Il souligne que dans la première catégorie, mentionnée au titre III de cette loi, on y retrouve les infractions portant atteinte à la confidentialité, l’intégrité et la disponibilité des données dans le système d’information. Dr Kwizera estime que c’est une avancée mais, souligne-t-il, il faut préciser que ces notions n’ont pas été suffisamment développées :« Par exemple, parler de confidentialité ou d’intégrité des données est une chose, mais ce sont des concepts vastes qui nécessitaient un traitement plus approfondi », explique-t-il.
Il mentionne, par ailleurs, que la loi burundaise sur la cybercriminalité évoque également les infractions liées au terrorisme, mais il y a lieu de constater qu’elles sont abordées de manière très limitée, avec peu d’articles dédiés. Elle ne traite pas en profondeur le cyberterrorisme et ses nombreuses formes. L’expert estime qu’il aurait été crucial d’examiner toutes les menaces possibles dans ce domaine.
Concernant l’atteinte à la sûreté de l’Etat via les systèmes informatiques, Dr Kwizera apprécie la loi prévoit des sanctions assez claires et strictes, apprécie Dr kwizera. Cependant, indique-t-il, un autre aspect préoccupant est la question de la protection de la vie privée. « Les articles 61 et 63 en parlent, mais ce sujet n’a été abordé qu’en deux petits articles, alors qu’il est d’une importance capitale. La loi aurait dû accorder plus d’attention à la protection des données à caractère personnel et aller encore plus loin en prévoyant un cadre législatif et institutionnel spécifique ».
Selon toujours Dr Kwizera, la loi sur la Cybercriminalité devrait prendre en compte la notion de publicité. « Je ne sais pas si vous l’avez déjà expérimenté comme moi, mais avez-vous aussi été harcelé par des publicités et des entreprises ? Chaque fois que vous ouvrez votre téléphone, vous tombez sur des milliers de messages dont vous n’avez pas besoin. Cela relève justement de la cybercriminalité, car le bien-être des citoyens est perturbé », souligne-t-il. Pour lui, cette loi devrait aussi couvrir cet aspect des publicités électroniques, celles diffusées via les technologies numériques. Il insiste, par ailleurs, sur la notion de consentement : « Pour recevoir ces messages, il faudrait que j’aie souscrit volontairement, que j’aie donné mon accord au préalable ».

Cet expert en Droit numérique révèle que la loi actuelle sur la cybercriminalité ne protège pas le cyberconsommateur alors qu’il est censé s’assurer de son bien-être. Il considère que la loi devrait alors s’intéresser à la protection du cyberconsommateur et prévoir des mécanismes de sa protection, des mécanismes de sanctionner et de réprimer, de façon exemplaire, toute personne qui tenterait de porter atteinte à son bien-être et à sa liberté. « Il arrive un moment où j’achète un bouquet d’internet, mais à cause des raisons qui ne proviennent pas de moi-même, je ne peux pas utiliser l’internet, mais après 24 heures, un message tombe disant que le bouquet est expiré, alors que je ne l’ai jamais utilisé ».
Pour la question des consommateurs de services de téléphonie ou d’internet qui se voient imposer des tarifs exorbitants pour une qualité médiocre, Dr Kwizera constate qu’il est nécessaire d’avoir une loi de protection des cyberconsommateurs. Selon lui, les opérateurs de téléphonie et les fournisseurs d’accès à internet profitent tantôt de leur monopole, tantôt du pouvoir et de la force qu’ils détiennent pour imposer une offre qui, en principe, devrait être négociée.
Regard sur les législations étrangères
Dr Kwizera fait remarquer que lorsque la loi sur la cybercriminalité est sortie, il a remarqué qu’elle vient avec des lacunes et des insuffisances qu’il faudra combler. « Les autres lois des autres pays, je ne dis pas qu’il faut toujours comparer avec les autres pays, parce qu’on dit que comparaison n’est pas raison. La loi, certes, prend en considération le contexte burundais, mais il devrait s’inspirer des lois des autres pays pour s’améliorer. Ces aspects dont je viens de parler, notamment sur la vie privée, la protection des données à caractère personnel, la propriété intellectuelle, le cadre institutionnel de protection, la cybersécurité, la vie privée, ainsi de suite, et bien d’autres éléments sont pris en compte sous d’autres issues. Dans les autres législations, ce sont des éléments qui ne doivent pas manquer dans une loi qui veut prévenir et réprimer la cybercriminalité. Donc la loi devrait en principe faire une petite étude de benchmarking dans le but de savoir ce qui se propose dans les autres lois pour s’inspirer de ces lois. »
Selon toujours Dr Kwizera, l’auteur de la loi burundaise sur la cybercriminalité aurait dû s’inspirer des conventions internationales. « Vous savez, il existe une convention africaine sur la cybercriminalité qui prend en compte tous ces aspects que le législateur burundais devrait revisiter pour améliorer son cadre législatif. Il y a également d’autres conventions internationales. Je parle ici de la convention de Budapest sur la cybercriminalité que le Burundi devrait envisager d’étudier et dont il pourrait s’inspirer, en tenant compte des différents aspects prévus dans ce texte de loi. »
Les tendances actuelles de la cybercriminalité au Burundi et les profils des cybercriminels
Avec un taux de pénétration mobile de 55%, environ 6,5 millions de Burundais ont accès à ce moyen de communication. Quant à l’Internet, avec un taux de pénétration de 8,5%, le Burundi compte plus d’un million d’internautes.
Selon Général de brigade de police Joseph Kenyatta, Commissaire général de la Police judiciaire (PJ), la cybercriminalité au Burundi est un phénomène complexe et émergent, influencé par une combinaison de facteurs culturels, sociaux et économiques. Parmi les infractions les plus fréquentes au Burundi, on trouve l’usurpation d’identité pour extorquer des informations sensibles, les escroqueries en ligne, la diffusion de contenus illicites ainsi que le partage de contenus haineux ou diffamatoires. Il mentionne également le piratage de comptes, l’espionnage numérique, l’ingénierie sociale et le vol électronique.
De janvier au 30 décembre 2024, 4 270 vols de téléphones ont été enregistrés. Parmi ces appareils volés, 480 ont été saisis et restitués à leurs propriétaires. A cela s’ajoute l’argent volé via les transferts Lumicash ou Eco Cash. Au total, 157 488 200 Francs burundais ont été déclarés volés. Sur ce montant, 111 332 900 Francs burundais ont été récupérés et restitués aux propriétaires. Kenyetta souligne que parmi les auteurs de cybercrimes, certains maîtrisent parfaitement l’outil informatique, tandis que d’autres savent exploiter les fonctionnalités d’un téléphone. Il précise en outre que les victimes ne sont identifiées que lorsqu’elles portent plainte ou font une déclaration à la police. Cependant, il estime que de nombreuses victimes ne signalent pas les faits. Il encourage donc la population burundaise à adopter une culture de déclaration auprès de la PJ en cas de vol des ordinateurs ou smartphones : « En cas de perte ou de vol de votre téléphone ou ordinateur portable, il est essentiel de déclarer immédiatement l’incident à la Police judiciaire. Cela permet d’éviter que votre numéro ou votre appareil ne soit utilisé à des fins criminelles. Deuxièmement, il est crucial d’être vigilant et de ne jamais envoyer de l’argent par voie électronique à une personne dont vous n’êtes pas absolument certain de l’identité. Par ailleurs, il est recommandé de signaler le vol à la police et, en parallèle, de se rendre dans les agences des opérateurs de téléphonie mobile où vous avez acheté votre carte SIM afin de procéder à son remplacement. Enfin, protégez vos données personnelles en utilisant des mots de passe complexes et difficiles à deviner ».
Les témoins interrogés indiquent qu’ils ne déclarent pas les vols de leurs téléphones malgré les risques que cela représente. Ils expliquent que les démarches et les procédures de déclaration sont complexes. « Le processus de déclaration est compliqué. Il faut d’abord se rendre chez l’opérateur de téléphonie mobile qui a fourni la carte SIM, puis à l’Agence de régulation et de contrôle des télécommunications (ARCT), avant de se présenter à la Police Judiciaire (PJ). Cette procédure peut prendre environ une semaine.»
Cependant, le commissaire général de la PJ précise que les démarches de déclaration ne sont pas du tout compliquées. Plutôt, il appelle la population burundaise à adopter cette habitude de déclarer les cas de vol de leurs téléphones ou ordinateurs.
Cette autorité de la PJ reconnaît que des mesures d’accompagnement sont nécessaires pour assurer l’application effective de la loi sur la cybercriminalité. Selon lui, il est essentiel de mener des campagnes de sensibilisation en utilisant les canaux de communication disponibles tels que les radios, télévisions, réseaux sociaux, affiches, etc. Ces actions permettraient d’informer la population sur les risques liés à la cybercriminalité et sur les bonnes pratiques à adopter, estime-t-il. Il est également crucial de renforcer les capacités des forces de l’ordre, notamment la police et les officiers de police judiciaire (OPJ). Par ailleurs, ajoute-t-il, il est essentiel d’impliquer les acteurs du secteur privé, notamment les entreprises et les institutions financières, en les sensibilisant aux risques liés à la cybercriminalité et en les formant aux mesures de prévention. Kenyatta considère qu’il serait pertinent d’intégrer cette thématique dans le programme scolaire afin que les jeunes prennent conscience des infractions liées à la cybercriminalité dès leur plus jeune âge.
Arnaque en ligne : Quand les cybercriminels exploitent la naïveté des internautes
Avec la numérisation en constante progression au Burundi, la cybercriminalité prend de l’ampleur. La fraude en ligne, l’escroqueries financières, l’usurpation d’identité, le piratage des comptes et la sextorsion sont en nette augmentation. Au Burundi, les cybercriminels profitent de l’innocence et l’ignorance des internautes pour piéger leurs victimes dans les mailles de leurs filets.
Au Burundi, la forme de cybercriminalité qui prend le plus d’ampleur consiste à infiltrer les comptes Lumicash des utilisateurs afin de leur voler de l’argent électronique. En effet, « Lumicash » est un système de transfert d’argent électronique. Ce dernier permet de faire des transferts entre les banques, les entreprises de communication et les agents distributeurs. Il permet aussi d’effectuer différentes opérations dont les paiements et les achats. Au Burundi Lumicash est perçu comme un porte-monnaie électronique qui permet aux clients, aux abonnés des télécoms et, le cas échéant, aux abonnés de Lumitel d’accéder au porte-monnaie électronique à partir de leurs téléphones mobiles. Dans ce cas, le téléphone d’un individu devient son compte bancaire où il peut effectuer diverses transactions dont le dépôt, le retrait ou le versement d’argent. Avec le service Lumicash, une personne peut effectuer des transferts d’argent vers d’autres abonnés Lumicash ou d’autres numéros non-inscrits dans le service Lumicash. Avec ce porte-monnaie électronique, un individu peut acheter des unités de recharge. Il peut aussi s’approvisionner auprès des alimentations et payer des factures à l’aide de Lumicash. Un individu peut aussi importer, c’est-à-dire transférer l’argent d’un compte Lumicash vers un compte bancaire et vice-versa.
Pour voler de l’argent, les arnaqueurs se font passer pour des techniciens de l’opérateur Lumitel afin de piéger les citoyens et siphonner l’argent de leurs comptes lumicash. Leur stratagème repose sur l’application My Lumicash Chanel, une application téléchargeable sur Play store ou App store et l’exploitation du code OTP (One-Time Password). Le mode opératoire est rodé. La victime reçoit un appel WhatsApp d’un prétendu technicien de Lumitel, qui prétend mener une enquête pour améliorer la qualité de la connexion internet et réduire le coût des forfaits de données. L’arnaqueur demande alors à la cible de consulter sa messagerie, où elle vient de recevoir un message contenant un code OTP. Il lui demande de lui communiquer les six chiffres de ce code, en prétextant qu’il est nécessaire pour finaliser l’opération. Si une victime, non avertie, obéit et lui transmet ce code de 6 chiffres, l’escroc obtient un accès total à son compte mobile et peut ainsi retirer l’intégralité de son argent.
« Pour se protéger contre ce type d’arnaque, il est crucial de ne jamais partager son code OTP avec qui que ce soit, même si l’interlocuteur prétend être un employé d’un opérateur téléphonique ». Ce message d’alerte a été lancé il y a quelque temps par l’opérateur de téléphonie mobile Lumitel, après avoir constaté que cette forme de cybercriminalité prenait une ampleur de plus en plus inquiétante.

L’usurpation d’identité sur les réseaux sociaux, Facebook en particulier, où des escrocs se font passer pour quelqu’un d’autre pour manipuler ou arnaquer d’autres personnes est une autre cybercriminalité en pleine expansion au Burundi. Les cybercriminels profitent du chômage qui ronge la jeunesse burundaise pour commettre leurs forfaits.
En effet, selon Professeur Gilbert Niyongabo, le taux de chômage au Burundi est de 1,1% et celui élargi est de 2,8% (main-d’œuvre potentielle). Au sens élargi, il est de 1,1% en milieu rural et de 17,2% en milieu urbain. Il est de 18,2% pour des personnes ayant un niveau supérieur contre 1,1% pour celles sans niveau de formation. Le taux de chômage en Mairie de Bujumbura est de 24,5%, suivi par les provinces de Rumonge (4,2%), Bujumbura (3,3%) et Gitega (2,2%).
C’est une arnaque aux faux emplois. Les escrocs créent de faux comptes au nom de certaines hautes autorités du pays, en utilisant comme photo de profil les images de ces dignitaires. Les personnalités les plus souvent ciblées sont le président de la République, son épouse, le Premier ministre, le secrétaire général du parti au pouvoir, le président de l’Assemblée nationale et celui du sénat, ainsi que les dirigeants des grandes entreprises du pays.
« Mon fils, tu as la chance de me rencontrer sur ce réseau social. Si je te donne un capital de 2,5 millions, l’utiliserais-tu bien pour ton investissement ? », tel est l’un des premiers messages que les arnaqueurs envoient à leurs cibles.
Il y a d’autres messages aux faux emplois : Certains cybercriminels se font passer pour des chefs d’entreprise réputés et prétendent lancer un recrutement, en insistant sur le fait que les places sont limitées. Ils présentent cette opportunité comme une chance inespérée pour la victime, lui demandant de garder les démarches secrètes.
Face à la pression du chômage, la victime, souvent vulnérable, ne prend pas le temps de vérifier la véracité de l’offre ni de demander conseil. Progressivement, l’arnaqueur introduit l’idée que des frais de traitement du dossier sont nécessaires pour finaliser la candidature. C’est à ce moment que la victime tombe dans le piège. Le cybercriminel fixe alors un lieu et une date de rencontre pour le paiement de ces frais et la remise du dossier. Une fois l’argent versé, il disparaît sans laisser de trace, emportant ainsi des sommes parfois considérables.
L’homme d’affaires burundais Adrien Ntigacika, alias Ziranotse, propriétaire de l’usine de production d’engrais organo-minéral FOMI, n’utilise pas Facebook. Pourtant, plusieurs comptes et pages Facebook usurpant son identité ont été créés par des individus mal intentionnés. Ces escrocs agissent en toute connaissance de cause : FOMI est une usine en pleine expansion, régulièrement à la recherche de nouveaux employés. De plus, ses salaires sont considérés comme attractifs par rapport à d’autres industries opérant au Burundi. Face à cette situation, de nombreux jeunes diplômés au chômage rêvent d’être recrutés par cette entreprise. Les fraudeurs exploitent cet espoir en utilisant de faux comptes pour arnaquer les candidats potentiels, leur promettant un emploi en échange d’une contrepartie financière.
La sextorsion est une autre forme de cybercriminalité présente au Burundi. Il s’agit d’un chantage dans lequel une personne est menacée de voir des images, vidéos ou messages à caractère sexuel divulgués si elle ne se soumet pas aux exigences de l’extorqueur. Ces demandes peuvent inclure le versement d’une somme d’argent, l’envoi de nouveaux contenus intimes ou même la réalisation de services illégaux. La forme la plus courante de sextorsion repose sur la manipulation et la tromperie. Les arnaqueurs se font passer pour des partenaires romantiques en ligne afin de gagner la confiance de leurs victimes et les inciter à partager des contenus compromettants, qu’ils utilisent ensuite pour exercer leur chantage.
Ces formes de cybercriminalité ne sont que quelques exemples parmi tant d’autres qui se produisent quotidiennement, piégeant de nombreux internautes burundais. Il est essentiel que ces derniers prennent conscience des risques et fassent preuve de vigilance, car les arnaqueurs, eux, restent constamment à l’affût.
Cybercriminalité : un défi sécuritaire ici comme ailleurs
En Afrique de l’Ouest, il y a un phénomène des brouteurs, un terme qui vient de la Côte d’Ivoire, désignant des escrocs spécialisés dans les arnaques en ligne. Ils manipulent leurs victimes en jouant sur leurs sentiments et les émotions, notamment via des impostures amoureuses. Qemal Affagnon, coordinateur régional pour l’Afrique de l’Ouest au sein de l’organisation Internet sans frontières, explique l’ampleur de ce phénomène. Il s’exprimait sur France 24. Il souligne que ce phénomène a connu les premiers développements en Afrique de l’Ouest, surtout au Nigéria, pour se répandre en Côte d’Ivoire, au Bénin ou encore au Burkina-Faso. Affagnon évoque toute une panoplie d’arnaques qui se développent depuis l’Afrique de l’Ouest en particulier. « En dehors de l’arnaque au sentiment, les loves arnaques, on retrouve par exemple l’arnaque aux faux emplois et l’arnaque aux faux logements. Vous avez aussi la sextortion qui se pratique de plus en plus et qui permet de cibler aujourd’hui des victimes sur le continent africain ». Selon lui, ce sont des pratiques qui touchent une gamme étendue d’arnaques et qui permettent de cibler des victimes aussi bien en Afrique qu’en dehors du continent africain. En parlant du profil de ces brouteurs (arnaqueurs), Affagnon souligne qu’ils sont souvent en situation de précarité. Pourtant, ils maîtrisent bien les outils numériques et l’ingénierie sociale. Cette compétence leur permet de gagner la confiance de leurs victimes. Ensuite, ils utilisent des arguments habiles pour les convaincre de donner de l’argent. Leur capacité à manipuler sur le long terme repose sur des aptitudes psychologiques particulières.
Dans certains pays d’Afrique, les brouteurs risquent, par exemple, la prison. Cependant, Affagnon doute de l’efficacité de cette sanction, car ces arnaqueurs continuent de commettre leurs forfaits même derrière les verrous :« Au Bénin, par exemple, de nombreux brouteurs se retrouvent derrière les verrous. Toutefois, le problème est bien plus profond. Malgré la forte répression menée par les autorités pour limiter ce phénomène, ainsi que les arrestations et emprisonnements, certains brouteurs parviennent encore à poursuivre leurs arnaques depuis les prisons de certains pays d’Afrique. »
Affagnon fait remarquer que l’organisation Internet Sans Frontières milite, par exemple, pour que certains textes de loi soient révisés et mis à jour : « Aujourd’hui, par exemple, en République du Bénin, lorsque vous prenez le code numérique qui permet de lutter contre ce phénomène, le terme de cybercriminalité n’est même pas défini dans ce texte de loi. »
Il demande aux internautes d’être beaucoup plus prudents, voire même très méfiants par rapport à tout ce qu’ils peuvent voir circuler sur Internet : « Aujourd’hui, des campagnes de phishing sont menées par ces brouteurs (arnaqueurs), ce qui leur permettent d’acquérir des données. C’est grâce à ces informations qu’ils vont cibler leurs victimes. »
Par Jean de Dieu Ndikumasabo