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La stigmatisation sociale des couples infertiles : un défi psychologique et sociétal majeur

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Août 15, 2025
Médard Niyimpaye, psychologue et directeur du centre d’écoute et de prise en charge médicale et psychosociale de Ngozi

BUTANYERERA, 11 août, (ABP) La stigmatisation sociale des couples infertiles peut entraîner des troubles psychologiques graves, pouvant aller jusqu’à la folie. Cette réalité est confirmée par des spécialistes de la santé, tels que les psychologues et les gynécologues-obstétriciens, ainsi qu’à travers le témoignage d’une victime ayant subi des stigmatisations en raison de son infertilité qu’elle a subie pendant 8ans.

Le gynécologue-obstétricien, Dr Thierry Akimana a, d’emblée, indiqué à l’ABP au cours d’une interview que l’infertilité est définie comme une maladie du système reproducteur masculin ou féminin, caractérisée chez la femme par l’incapacité à concevoir une grossesse après 12 mois ou après beaucoup de rapports sexuels réguliers non protégés. Il précise que les facteurs contribuant à l’infertilité peuvent être présents chez l’un comme chez l’autre partenaire, d’où il ne faut pas accuser uniquement la femme dans un couple infertile, a fait remarquer Dr Akimana Thierry, révélant que l’infertilité est souvent traitable, en fonction de sa cause, de sa durée, de l’âge des partenaires et de l’accès aux soins.

Ce professionnel de santé encourage les couples à rester actifs socialement et économiquement, et à consulter ensemble des professionnels de santé car, a-t-il signifié, dans près de 50 % des cas, l’homme est également concerné. Il exhorte la société à ne pas isoler ou stigmatiser les couples infertiles, mais à leur offrir un soutien et à les comprendre.

Selon un rapport publié par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) le 4 avril 2023, environ 17,5 % de la population adulte mondiale est touchée par l’infertilité, soit une personne sur six. Cette prévalence est similaire dans les pays à revenu élevé (17,8%) et dans ceux à revenu faible ou intermédiaire (17 ,5%). Ce même rapport indique qu’au Burundi, les données spécifiques sur l’infertilité sont limitées.

Cependant, des études régionales suggèrent que l’infertilité est un problème de santé reproductive significatif en Afrique subsaharienne. Par exemple, une étude menée en 2004 par l’OMS montre qu’environ 1 couple sur 4 dans les pays en développement est affecté par l’infertilité.

Une mère qui a donné naissance après 8 ans de mariage, témoigne

Joselyne Niyonkuru est une femme qui été stigmatisée dans sa famille et dans son entourage depuis 2016, mais qui a mis au monde après 8 ans de mariage. Elle réside actuellement en ville de Ngozi, province Butanyerera. En tenant tendrement dans ses bras son enfant âgé d’un an, le visage illuminé de joie, elle partage avec émotion comment elle a frôlé la dépression après ces années si haut mentionnées sans parvenir à avoir d’enfant.

Joselyne Niyonkuru, une femme stigmatisée pendant huit ans de mariage sans enfant

Mme Niyonkuru confie que cette période a été très difficile, surtout à cause de l’attitude de ses voisins. Elle remercie cependant son mari pour son soutien et sa compréhension.  « Certains voisins venaient nous rendre visite, mais en repartant, ils me disaient qu’ils ne reviendraient que lorsque j’aurais eu un enfant, » témoigne-t-elle. Un autre cas marquant fut lorsque quelqu’un lui dit lui avoir jeté un sort pour qu’elle puisse concevoir, ce qui l’a profondément choquée.  Mme Niyonkuru explique qu’elle avait fini par accepter qu’elle ne puisse peut-être jamais enfanter. Elle affirme avoir consulté plusieurs médecins pour se faire soigner durant cette période et, miraculeusement, comme elle l’indique, elle est tombée enceinte.

Elle conseille vivement les couples de ne pas se tourner vers les guérisseurs traditionnels, mais plutôt de consulter des professionnels de santé. Elle appelle également la société à ne pas marginaliser les femmes infertiles, car cela peut entraîner des troubles mentaux. « J’ai failli sombrer. Je pleurais souvent seule. Parfois, je passais la nuit sans manger, absorbée par mes pensées sur la façon dont la société me percevait. Certaines personnes refusaient même que j’approche leurs enfants, ou que je les tienne dans les mains, craignant que je ne leur jette un sort, » déplore-t-elle.

Impact psychologique et social

Médard Niyimpaye, psychologue et directeur du centre d’écoute et de prise en charge médicale et psychosociale de Ngozi, explique que, bien qu’il n’existe pas encore de statistiques précises, les conséquences psychologiques de la stigmatisation sont une réalité. Il souligne que l’infertilité, dans un contexte comme celui du Burundi où la procréation est perçue comme une norme sociale et culturelle essentielle, peut entraîner des troubles anxieux et dépressifs, un isolement social et une baisse de l’estime de soi. Les personnes infertiles peuvent se percevoir comme dévalorisées ou incomplètes, ce qui affecte leur identité et leur bien-être émotionnel. L’infertilité peut aussi fragiliser les relations conjugales, générer des conflits, des incompréhensions, voire des séparations. Les attentes sociétales exacerbent souvent ces tensions, surtout lorsque la pression repose principalement sur la femme, a-t-il signalé.

 Rôle des leaders religieux

Face à cette situation, les leaders religieux au Burundi ont un rôle essentiel à jouer dans la lutte contre la stigmatisation liée à l’infertilité. D’après l’évêque Émile Ndikumana, responsable de la coalition des églises chrétiennes à Ngozi, ces leaders offrent un soutien moral et spirituel aux couples concernés, les aidant à dépasser la honte et les préjugés. Même dans la bible, a-t-il fait remarquer, il existe des exemples de personnes ayant eu des enfants tardivement, et qui subissaient des marginalisations sociales. En tant que leaders religieux, leur mission est d’enseigner aux chrétiens que c’est Dieu qui donne des enfants. Il dit aussi avoir constaté des cas où des conjoints maltraitent leurs partenaires simplement parce qu’ils n’ont eu que des enfants d’un seul sexe, ce qu’il considère comme un signe d’ignorance. Il insiste donc sur le fait que la stérilité peut toucher n’importe qui.

Selon ce responsable religieux, si les foyers et les familles ne sont pas solides, ni l’église ni le pays ne peut se développer. C’est pourquoi, dit-il, ils forment les couples, en particulier ceux qui se préparent au mariage, pour leur apprendre comment réagir au cas où ce genre d’épreuve survient. Il déconseille de consulter les guérisseurs traditionnels, et critique certains serviteurs de Dieu qui recommandent uniquement la prière face aux problèmes d’infertilité. Selon lui, il faut bien sûr prier, mais aussi consulter les médecins, car dans certains cas, les causes peuvent être biologiques et traitables.