BUJUMBURA, 24 nov (ABP) – La fistule obstétricale, une maladie « d’arrière-cour », avec plusieurs théories souvent erronées, développées par la conscience populaire, une maladie souvent discriminatoire pour celles qui en souffrent. Au cours d’un entretien accordé à l’ABP, le médecin gynéco-obstétricien Dr Déogratias Ntukamazina, qui traite les cas de fistule obstétricale, a éclairé sur cette maladie qui échappe parfois à la compréhension d’une grande majorité de la population burundaise.
Pour ce spécialiste qui exerce au Centre hospitalo-universitaire de Kamenge (CHUK), la fistule obstétricale est liée « à la grossesse surtout à l’accouchement ». Une femme qui a une fistule obstétricale « est une femme qui a une perte incontrôlée ou involontaire permanente de ses urines là où elle se trouve qu’elle soit assise ou débout, avec écoulement permanent sur ses jambes ».
Tout commence lors d’un accouchement long et compliqué, lorsqu’un trou se crée entre la vessie et les organes externes, surtout le vagin, entraînant une perte incontrôlée ou involontaire permanente des urines, a indiqué Dr Ntukamazina. La perforation pourrait se créer également entre la vessie et le rectum, car d’après le spécialiste, les urines et/ou les matières fécales passent à ce moment par la voie vaginale. Les femmes concernées sont celles ayant accouché par césarienne ou par voie basse, selon ses dires.
Les jeunes femmes qui contractent leurs premières grossesses sont les plus susceptibles de développer la fistule. Il a indiqué que la première grossesse est à risque au cours de l’accouchement. Il faut que ces femmes consultent les structures habilitées pour qu’elles soient suivies, en vue de décider la voie d’accouchement et pour qu’elles accouchent dans un milieu où on peut faire une césarienne en cas de besoin », a-t-il martelé.
D’après Dr Ntukamazina, « La majorité des femmes fistuleuses accouchent dans des structures où on ne fait pas de césarienne sans moyens de transport vers les structures habilitées. Ces femmes sont évacuées vers ces structures trop tard, leur état s’étant compliqué subissant de plein fouet les complications liées à leur état critique ».
Il a par ailleurs fait remarquer que les femmes âgées qui ont accouché plusieurs fois peuvent être la cible de la fistule obstétricale dans le cas de « présentations vicieuses » : un travail compliqué lors la présentation de la tête du bébé ou dans une autre forme, un travail long qui aboutit à la fistule après la sortie du bébé. Les femmes de taille courte de moins d’1m50 ou un peu au-dessus sont présentées, également comme des personnes à risque. Dr Ntukamazina a expliqué que les femmes de ces catégories précitées présentent un bassin rétréci, ce qui rend difficile l’accouchement par voie basse.
Le spécialiste en gynécologie obstétricale dresse un tableau alarmant sur les conséquences liées à cette maladie. La personne atteinte qui subit ces coulées d’urines qui suintent le long de son corps se sent sale, transportant dans son sillage une odeur d’urine. Du côté de son entourage, il se remarque un malaise ressenti lors de son passage à cause d’une mauvaise odeur. La personne souffrante n’ose plus se présenter en public, voyager en transport en commun, aller au marché, à l’église. Elle se réfugie vers « l’arrière-cour » de sa maison, a déploré le médecin gynécologue.
La seconde conséquence, c’est l’infertilité qui découle de cette fistule et qui s’installe très tôt. Du moment que les jeunes femmes sont les plus ciblées, à leur 1ères grossesses. Comble de malheur, M. Ntukamazina relève que la majorité de celles qui deviennent infertiles, lors de leur accouchement compliqué, expulse des mort-nés. Au sein des ménages, même si les maris peuvent supposer la mauvaise odeur que leurs femmes malades dégagent, ils ne supportent pas cette infertilité, a-t-il regretté.
A la lumière des enquêtes menées, Dr Ntukamazina avance qu’entre 60% et 70% de ces maris chassent leurs femmes, qui sont obligées de rentrer chez leurs parents.
A côté de la fistule obstétricale, qui s’observe au Burundi, liée à un accouchement difficile et compliqué, le spécialiste en gynéco-obstétrique a évoqué d’autres causes non-obstétricales, de la fistule uro-génitale. Ici, il a relevé les maladresses au cours de certaines opérations chirurgicales. Il a cité le cas de l’opération des fibromes où le chirurgien, par maladresse, blesse la vessie et crée ce trou inhabituel. Le cancer génital qui est au stade de métastase peut détruire une partie de la vessie et crée un passage anormal des urines vers les voies génitales.
Parlant du même cancer génital, les médicaments utilisés dans le cadre de la chimiothérapie peuvent aussi détruire une partie de la vessie et causer la fistule. Dans des cas plus rares, Dr Ntukamazina a parlé de la bilharziose qui peut causer la fistule en fragilisant la paroi de la vessie.
Chiffres à l’appui, le gynéco-obstétricien a informé, qu’après l’introduction de la gratuité des soins pour femmes enceintes en 2006, le taux de femmes présentant les fistules a augmenté de 30% jusqu’à 70%, avec quelque 1000 cas par an, depuis 2007. Des chiffres qui ont chuté jusqu’à 700 cas de fistules obstétricales, lors de l’année 2012, année de dernière étude.
Il a ainsi interpellé à un changement de mentalités comme quoi « l’accouchement est naturel, physiologique et doit se faire à la maison ». Pour lui, toutes les femmes enceintes doivent faire la consultation, dans une structure de soins : consultation prénatale pour détecter des complications au cours de la grossesse mais aussi décider la voie d’accouchement pour cette grossesse.
Le médecin directeur du Programme National de Santé de la Reproduction (PNSR), Dr Ananie Ndacayisaba lance le même son de cloche, pour éviter qu’il y ait fistule pendant l’accouchement. Il invite les femmes enceintes de recourir aux structures de soins, faire des consultations, dès les 1ers signes de grossesse et de respecter le calendrier préétabli par les prestataires car chaque séance de consultation a un paquet à offrir à la femme, des examens et des médicaments. « Il faut respecter ces rendez-vous», a-t-il martelé.
A ce niveau, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) préconise huit visites de consultations prénatales. Il a appelé par la suite d’accoucher en milieu de soins, non pas à domicile parce qu’ils engendrent des cas de fistules obstétricales. Aux femmes qui ont déjà accouché, Dr Ndacayisaba, les interpelle à se rendre dans les structures de soins dans les 20 premiers jours, après l’accouchement pour des consultations postnatales : « pour être examinée, réexaminée pour que la femme soit rassurée qu’il n’y a pas de problèmes après accouchement ».
En cas de confirmation de la fistule, il oriente les malades vers le centre spécialisé Urumuri, pour être prises en charge, un Centre se trouvant dans les enceintes de l’hôpital régional de Gitega.
Avec le respect de ces mesures, il s’est dit confiant que la fistule obstétricale sera éradiquée, conformément à l’objectif fixé d’élimination de la fistule obstétricale à l’horizon 2030, a fait savoir le médecin directeur du PNSR. Un objectif réalisable, selon lui, à la lumière d’indicateurs encourageants à savoir les campagnes de diagnostic et d’opération de fistules qui sont organisées chaque année à travers tout le pays.
Néanmoins, pour atteindre l’objectif assigné, il a fait un appel à la communauté dont les médias, pour aider dans la sensibilisation et faire connaître cette maladie à la population, « afin qu’il n’y ait personne qui reste à la maison avec cette maladie ».
Pour rappel, le Centre Urumuri, de prise en charge de la fistule obstétricale, inaugurée par le couple présidentiel, le 17 septembre 2021, a été construit sur financement de la Fondation Bonne Action Umugiraneza, initiée par la première dame Angéline Ndayishimiye, avec le soutien du Fonds des Nations Unies pour la Population (FNUAP), engagé, dans la lutte contre les fistules obstétricales.
Tout en rappelant qu’assurer la santé de la population est l’un des priorités du Gouvernement, le président de la République M. Evariste Ndayishimiye avait, lors de cette inauguration, salué l’apport important que le FNUAP apportait dans la lutte contre les fistules obstétricales au Burundi.