GITEGA, 11 mars (ABP) – Les violences basées sur le genre constituent, au Burundi, une des violences les plus persistantes et les plus dévastatrices. Elles demeurent également l’une des moins signalées dans les communautés en raison de l’impunité, du silence, de la stigmatisation et du sentiment de honte qui l’entourent.
Mme Émilienne Ntiyibagiruwayo, psychologue au centre Humura de Gitega, qui est une structure pilote d’accueil du gouvernement burundais, pour donner des réponses holistiques aux victimes des violences basées sur le genre, affirme qu’au Burundi, il y a des femmes et des hommes victimes des violences basées sur le genre. Mais que les femmes sont plus victimes que les hommes, a-t-elle ajouté.
A titre d’exemple, Mme Ntiyibagiruwayo a fait savoir qu’en 2021, ce centre a accueilli 1033 victimes des VBG dont 775 femmes, 130 filles, 118 hommes et 10 garçons.
En 2022, le centre Humura a enregistré 1285 victimes dont 989 femmes, 162 filles, 122 hommes et 12 garçons. En 2023, ce centre a accueilli 1199 femmes, 171 filles, 160 hommes et 24 garçons. Depuis le mois de janvier 2024, ce centre a déjà enregistré 137 cas de violences basées sur le genre.
La directrice générale de la coopérative de service Muntunuwundi, Mme Daphrose Ntarataze, indique qu’elle a été victime des violences basées sur le genre en 1972. Elle est actuellement formatrice et facilitatrice de Cercles de paix « CdP- Inani z’amahoro », un outil qui permet surtout aux femmes en général, et aux victimes de VBG en particulier, d’avoir un cadre d’échange thérapeutique en rapport de leur récit de vie, afin de transformer les défis relevés en opportunités de mieux-vivre et mieux-être, avec soi-même et avec la société.
Elle est également formatrice des animateurs et facilitatrice des séances intergénérationnelles Conte et Raconte & Cercles Restauratifs « CRCR-Ntugatare mu nda. Mvura nkuvure » et formatrice et facilitatrice d’animation Construire et Raconter une Nouvelle Histoire « CRNH-Mpore ! Uhoze abandi ».
Selon Mme Ntarataze, une femme leader est une femme ou une mère digne de son nom. Elle a un rôle de briser le tabou et le silence en faisant un travail thérapeutique sur soi, afin de soigner les blessures psychologiques éventuelles en lien avec les cas de VBG. Elle doit aider les victimes des VBG à entamer un processus de guérison des mémoires et doit faire le plaidoyer pour la prévention et la prise en charge globale de cas de VBG. Elle a appelé les hommes à être eux-aussi les partisans de la masculinité positive et complémentaire à celle de la femme.
Elle a signalé qu’une femme leader doit éveiller la conscience de la population, en sachant que les violences basées sur le genre nuisent à l’épanouissement, à la paix et au développement global de la famille, la communauté et de la société générale. Elle s’engage à guérir leurs propres blessures psychologiques en lien avec les VBG et ainsi travailler en synergie pour prévenir, faire le plaidoyer et prendre en charge les cas de VBG.
Mme Ntarataze interpelle l’administration à s’approprier et intégrer dans son programme national de lutte contre les VBG, les approches et outils d’intervenants associatifs en matière de prévention et de prise en charge globale de VBG adaptés à la société burundaise et qui font preuve de résultats et impact positif au niveau communautaire.
La vision d’un Burundi émergent en 2040 et d’un Burundi développé en 2060 n’est même pas envisageable, selon elle, tant que les violences basées sur le genre s’observent presque partout dans le pays.
Mme Nancy-Ninette Mutoni, âgée de 37 ans, secrétaire exécutif de la Commission Vérité et Réconciliation, engagée dans divers mouvements centrés sur la promotion du leadership des jeunes et des femmes, surtout en ce qui est de leur participation politique, indique que les femmes leaders jouent un rôle crucial dans la lutte contre les violences basées sur le genre, en utilisant leur notoriété, influence, voix et position, pour promouvoir des changements considérables.
D’après elle, une femme leader doit sensibiliser la société sur les problèmes des VBG en fournissant des informations sur ses conséquences néfastes et en détruisant les stéréotypes contribuant à perpétuer ces violences. Une femme leader doit également promouvoir l’égalité des sexes devant la loi en créant un environnement où les VBG sont moins susceptibles de se produire. Cela, se manifeste par l’élimination des inégalités structurelles favorisant les comportements violents en communauté comme en milieu de travail.
Mme Mutoni a ajouté qu’une femme leader doit encourager la participation des femmes dans tous les domaines de la société et faire le plaidoyer pour la mise en place des lois et politiques efficaces visant à prévenir, punir et éradiquer les VBG. Cela inclut le renforcement des sanctions, l’amélioration des mécanismes de signalement et la protection des droits des victimes. Elle doit également encourager la mise en place de services de soutien aux victimes, tels que les refuges, des lignes d’assistance téléphonique et les programmes de réhabilitation et peut œuvrer pour l’élimination des barrières qui empêchent les victimes de chercher de l’aide.
Mme Mutoni a aussi fait remarquer qu’une femme leader doit contribuer à changer les normes culturelles et sociales qui tolèrent aux VBG, à encourager la remise en question des attitudes sexistes et la promotion de relations respectueuses entre les genres et peut travailler en collaboration avec d’autres leaders, organisations non gouvernementales, institutions gouvernementales et la société civile pour élaborer des stratégies intégrées et holistiques de lutte contre les VBG.
« La lutte contre les violences basées sur le genre est un impératif moral et social qui nécessite l’engagement de chacun de nous. En tant que membres de cette communauté, nous avons la responsabilité collective de créer un environnement où chacun, indépendamment de son genre, peut vivre en sécurité, dans le respect et la dignité », a-t-elle révélé.
Elle appelle tous les acteurs d’œuvrer en synergie indépendamment des croyances, des appartenances ethniques, politique et des rôles sociaux, qu’ils soient membres de la société civile, leaders communautaires, responsables politiques, éducateurs ou parents, bref, hommes et femmes de tous âges.
Quant au professeur Paul Ngarambe, enseignant à l’Université du Burundi dans le département d’Etudes Africaines, les violences basées sur le genre (VBG) sont une réalité au Burundi. Dans la culture burundaise, on ne parle pas de ces questions à haute voix. Il est temps de changer de mentalité tenant compte de la situation dans le monde sur ces questions et des relations que le Burundi a, avec les autres pays en rapport des droits de la personne humaine. La lutte contre les violences basées sur le genre est un impératif moral et social qui nécessite l’engagement de chaque Burundais.
Malgré cela, il salue l’existence des femmes leaders qui tiennent debout et prennent la parole pour sensibiliser sur ce fléau et qu’il y a régulièrement des journées de sensibilisation pour attirer l’attention de la société. Il a affirmé lui-aussi que les femmes leaders ont un rôle important dans la lutte contre ces violences mais qu’à côté d’elles, ils pourront aussi y avoir des hommes leaders pour parler de ces questions qui ne sont pas typiques à la fille et femme, alors qu’il s’agit d’une question qui intéresse toute la société, le pays et finalement le monde entier. « C’est vrai que les femmes leaders vont en avant, mais il faut que tout le monde soit à côté d’elles pour contribuer afin que ce genre de choses n’existent plus », a expliqué Ngarambe.
Pour faire face à cela, prof Ngarambe propose trois choses. Il faut que la personne responsable de ces violences soit mise devant le fait accompli pour prendre conscience que l’acte commis est mauvais. Il faut aussi que les jeunes garçons ou filles, depuis leur enfance, soient informés sur leur développement et comment les autres les voient tout doucement, afin que cela ne puisse leur arriver. Il faut en outre que dans les écoles et dans les familles, ce genre de questions soit abordé pour que les différentes personnes de la famille soient informées sur ce fléau.
Il en enfin indiqué que dès que quelqu’un est victime de ce genre de choses, il faut absolument en parler tout de suite, à ceux qui sont capables d’agir immédiatement notamment les agents de l’ordre, la famille et les autorités plus proches, pour attirer l’attention mais également pour ne pas laisser partir librement une personne qui a commis ce genre de fautes au lieu qu’il y ait des arrangements entre la famille du victime et la famille du violeur comme on l’entend parler dans le monde rural.